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citoyen français est-il honoré ? l’égalité est-elle autre chose qu’une brillante théorie ? la sûreté personnelle a-t-elle la moindre garantie ? l’intérêt du gouvernement est-il le même que celui du peuple ? la volonté nationale est-elle écoutée et respectée ? Ose-t-elle se faire entendre ? le gouffre des dilapidations est-il fermé ?… les contributions sont-elles proportionnées aux facultés des contribuables ? Où sont les institutions et les mœurs de la République ? » Pesez tous les termes de cette lettre qu’un régicide, démocrate vigoureux, patriote vaillant, Thibaudeau, écrivait alors à un ami. C’est le questionnaire auquel répondit le consulat de Bonaparte, et c’est ce qui explique comment ce consulat, se préparant ainsi, se nécessitant, si j’ose dire, dans les âmes de tant de républicains, tant de républicains s’y soient ralliés et l’aient servi.

Il ne restait plus qu’à rappeler Bonaparte. Le Directoire, dans le désespoir des affaires, s’y résigne, par nécessité. Il fait négocier à Constantinople par M. de Bouligny, l’envoyé d’Espagne, le rapatriement de l’armée d’Égypte. Il en instruit Bonaparte. Reinhard écrit, le 20 septembre, au général : « Depuis peu de jours, nous connaissons votre retraite de Saint-Jean-d’Acre, par les papiers anglais. Nous vous supposons en Égypte. De votre côté, vous aurez appris nos revers, et nos revers exagérés. Joubert est mort… En Suisse, Masséna se soutient ; Lecourbe fait des prodiges. Les Anglais ont opéré une descente en Hollande… » Reinhard expose la révolution de Prairial, la détresse des finances, l’emprunt forcé, « les obstacles qui, dans l’intérieur et au dehors, luttent contre les destinées de la République » ; et il conclut : « Le Directoire exécutif vous attend, vous et les braves qui sont avec vous. Il ne veut pas que vous vous reposiez exclusivement sur les négociations de M. de Bouligny. Il vous autorise à prendre, pour hâter et assurer votre retour, toutes les mesures politiques que votre génie et les événemens vous suggéreront. »


ALBERT SOREL.