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Ajoutez la guerre civile. Sur quatre-vingt-six départemens, quarante-cinq sont en sédition ; dans l’Ouest, c’est la guerre ouverte dans quatorze départemens, avec des chefs comme Cadoudal, Frotté ; des espions et des complices à Paris dans les alentours mêmes du Directoire. Les royalistes croient avoir Barras, plusieurs généraux : Bernadotte, Moreau. Ils sont redoutables ; ils seraient très dangereux s’ils avaient un prince pour les mener au combat, et un roi à rétablir. Mais ils ne relèveront qu’un trône vide. Louis XVIII écrit et attend, très loin. Le comte d’Artois agite une épée de salon, encaisse l’argent anglais que ses lieutenans refusent, les laisse se battre et mourir de faim, et se réserve pour l’entrée triomphale, quand les villes seront prises. Ce parti, comme la République même, a encore des soldats vaillans ; il n’a point de gouvernement. Mais tel qu’il est, il absorbe des troupes, il inquiète Paris, il effraie les départemens.

Les jacobins, ayant la majorité au Directoire, grâce à Gohier, Ducos, Moulin ; le ministère de la guerre, avec Bernadotte ; le gouvernement de Paris avec Marbot ; un coryphée militaire, avec Jourdan, entré aux Cinq Cents, songent à conjurer le péril national et à en profiter. Ils sont prêts à recommencer la Terreur, les circonstances de la Terreur s’annonçant de nouveau, avec les motifs de la Terreur : l’impuissance de gouverner par l’intelligence, la raison, la justice. Ils mènent une campagne d’alarmes et de dénonciations, rétablissent les clubs, réclament le désarmement des royalistes et l’armement des patriotes. Ils font voter, 28 juin-6 août, sur la motion de Jourdan, un emprunt forcé, progressif, de cent millions, une levée en masse de tous les hommes de 20 à 25 ans ; enfin ils tirent de l’arsenal terroriste, une loi dite des otages qui n’est qu’une réduction de loi des suspects.

Sieyès trouva que les jacobins avaient mis les choses à point, que le moment était venu de les entreprendre, car, si l’on laissait faire, ils étaient capables de s’imposer encore une fois. On vit alors apparaître, avec les conceptions politiques, les hommes du consulat futur. Fouché, en qui Sieyès devine, derrière le diplomate manqué, un policier de première force, est appelé à ce ministère de la police où son nom devait rester légendaire. Il s’était cherché en Italie, il se trouve là. Il inaugure sa politique de machiavéliste parisien qui consiste à se mettre de toutes les conspirations pour tenir tous les conspirateurs, à se faire leur