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régime républicain, espérant un changement, un roi ; mais l’attendant du temps, de Dieu, et incapable de faire aucun effort pour sortir de sa situation présente. »

Journée des dupes pour tous ceux qui l’avaient faite, pour les jacobins, qui se crurent les maîtres de la République, pour Sieyès même, qui s’en crut le chef. Son dessein était de prendre les jacobins à revers. C’était un mouvement tournant, à combiner de loin. Il commença par les rassurer. Il « épura le ministère ». Il congédia Talleyrand, qui traversa des jours d’épreuves et dut publier des « éclaircissemens » sur sa conduite : Reinhard le remplaça. Bernadotte eut la guerre, et Cambacérès, que l’on vit ressusciter, la justice. Cambacérès était judicieux et très décoratif : il avait présidé le Comité de Salut public. Sieyès le destinait à figurer le personnage des confidens, philintes augustes et discrets, dans le pouvoir à trois de sa Constitution future.

Il fallait un bras, un homme d’exécution pour imposer l’obéissance aux armées et mettre, à l’intérieur, les turbulens à la raison. Bonaparte était trop loin, trop grand, et trop débordant, pour entrer dans la mécanique de Sieyès. Ce politique subtil le trouvait hors de proportions avec sa géométrie. Le Directoire renonça à le rappeler, et Bruix reçut contre-ordre. Sieyès passa la revue des généraux. Il fit sonder Moreau, qui refusa de se prêter à une combinaison où il n’aurait que des fonctions civiles et point de commandement. Championnet était trop pur ; le Directoire lui rendit un double hommage, il le réhabilita, ne lui parla point de politique et lui donna le commandement d’une armée aux frontières, l’armée des Alpes. Quelqu’un, — Fouché s’en attribua l’honneur, — désigna Joubert, honnête, désintéressé, prêt à agir au besoin, à s’effacer après l’événement, à bouleverser la république pour le compte d’un plus adroit. Il s’était démis de son commandement en Italie et était venu à Paris, en disgrâce dans le Directoire, et, par suite, en faveur dans l’opinion. Circonvenu par tous les monteurs de cabales, recherché dans les salons, toujours en quête d’un sauveur et d’un « homme à poigne », jeune, avisé, ambitieux de gloire, se sentant porté par la fortune, il observa, il apprit la politique. Il fut heureux surtout et s’abandonna à la destinée qui s’offrait à lui.

C’est une plaisante chose de considérer comment les futurs meneurs de Brumaire, disposent, aplanissent, pour ce jeune homme, les voies par lesquelles Bonaparte s’était élevé, mais