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renfermait par goût, par incertitude naturelle, dans les demi-mesures : la neutralité équivoque avec tout le monde, les arrière-pensées dans toutes les affaires. Il laissa Haugwitz conférer avec le ministre d’Angleterre, ménager un accord qui aurait pour objet l’indépendance de la Hollande, accrue d’une partie de la Belgique, et l’évacuation de la rive gauche du Rhin par les Français. Cet accord semblait formé le 10 juillet. Le 17 et le 21, Frédéric-Guillaume donna contre-ordre.

Les Anglais se rejetèrent sur la Russie. L’Angleterre se voyait engagée partout : avec les Français, en Égypte ; aux Indes, avec Tippoo Saïb. Il parut à Pitt que les conjonctures l’obligeaient à entrer dans la guerre continentale, et il y entra avec cette vue très simple, vue dominante et permanente des Anglais : s’assurer la domination de la Méditerranée, chasser les Français de la Belgique, et rétablir en Hollande un gouvernement à leur discrétion. Paul Ier était en coquetterie réglée avec eux au sujet de l’île de Malte, qu’il voulait conquérir afin d’y restaurer les chevaliers. Pitt et Grenville flattèrent cette fantaisie ; ils flattèrent aussi la grande ambition de Paul de se faire en Europe le restaurateur des trônes. Comme ils ne prétendaient rien prendre pour eux-mêmes sur le continent, ils souscrivirent volontiers à la clause de désintéressement dont le tsar tirait grand orgueil ; ils obtinrent ainsi de lui la promesse d’envoyer par mer 17 000 Russes en Hollande. Ils comptaient sur un soulèvement populaire dans cette république, sur une insurrection des Belges, sur une reprise de la chouannerie en Normandie et en Vendée, avec Frotté et d’Autichamp. Ils donnèrent 225 000 livres sterling pour les préparatifs ; ils promirent 75 000 livres sterling, par mois, pour les subsides, plus un règlement de comptes à la fin de l’entreprise. Le traité fut signé à Londres, le 22 juin, et l’on se promit le secret, surtout à l’égard de l’Autriche.

C’est qu’à Pétersbourg, où Rostopchine était alors le conseiller le plus écouté, le vent tournait contre Vienne. On se plaignait de l’ingratitude de cette cour ; on jugeait que décidément Thugut était trop avide, convoitant la Suisse et l’Italie, toute la dépouille du Directoire, et de ses républiques. On cessait de croire au spectre français. Ces Carmagnols, décidément, se battaient trop mal ! il avait suffi de leur montrer des Russes pour les mettre en fuite, « On convient, au fond du cœur, écrivait Rostopchine, que les Français n’ont rien fait que des sottises et qu’ils ne doivent