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Piémontais, c’est le général autrichien qui en prend possession, au nom de son maître, comme faisaient les Impériaux, en France, en 1792 et 1793, quand, à la honte et à l’indignation des émigrés, ils plantaient leurs drapeaux sur les portes des villes qu’ils étaient censés délivrer et reconquérir au roi.

Souvorof, dans sa campagne à la Bonaparte, éprouvait de la part du conseil aulique et de la chancellerie de Thugut les mêmes difficultés que Bonaparte avait, en 1796 et 1797, rencontrées dans le ministère de la guerre et le Directoire de Paris. Il voulait restaurer des gouvernemens ; Bonaparte, fonder des républiques ; l’Autriche entendait la restauration comme le Directoire la propagande ; elle ne visait qu’à conquérir et à rançonner. Il avait envoyé son plan, qui était de séparer Masséna de Moreau, chose faite ; de battre en détail Moreau et Macdonald, d’empêcher leur jonction, de les rejeter qui sur Gênes, qui sur la Toscane ; puis, de passer les Alpes, en deux colonnes, par le Simplon et par le Gothard, de couper Masséna de ses communications avec la France ; enfin, la Suisse étant désormais ouverte, d’envahir la France par la Franche-Comté, où les royalistes avaient des intelligences et où les alliés s’imaginaient trouver un autre Piémont. Souvorof comptait sans Thugut. Ce ministre trouva que les Russes allaient trop vite et trop à fond, avançant avec plus de rapidité que naguère les Autrichiens n’en avaient mis à reculer devant les Français. Il blâme l’appel à l’insurrection des peuples en Lombardie, en Piémont : c’est un appel à la révolution ; il blâme l’appel au roi de Sardaigne, car l’Autriche entend garder le Piémont en gage, le démembrer, l’annexer suivant ses convenances, lors de la paix générale. Il faut mettre un frein à cette fureur russe. Les critiques, les contre-ordres vont désormais pleuvoir de Vienne, ne prescrivant que des atermoiemens et des contremarches, contrariant tout, entravant tout. Souvorof s’emporte, exhale en invectives son mépris pour les Allemands ; néanmoins, il conserve le commandement, sauf à n’opérer qu’à sa guise et à disputer, plus tard, après la victoire. Il s’agit, pour le moment, de vaincre. Macdonald approche.

Ce général avait évacué Naples, le 8 mai, emmenant une armée affaiblie, découragée, affamée, qui se débanda et ne tarda pas à se démoraliser dans la misère d’une retraite désastreuse, sanglante, « à travers un torrent d’insurrections ». Macdonald ne parut à Rome que pour voir crouler la république romaine.