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recours aux grands et derniers remèdes. » Ces derniers mois s’entendaient des guerres civiles, factions, complots, détrônemens et changemens de dynastie qui formaient le fond de la grande médecine politique d’alors.

D’ailleurs, chez les coalisés de 1799, aucune idée de réforme, ni dans leurs Etats, pour y prévenir la Révolution, ni dans les républiques, pour l’éliminer. Ils n’ont qu’une vue : considérer cette révolution comme non avenue et la supprimer de l’histoire en supprimant de la carte ses conquêtes et en se les partageant. Le souci d’écarter les Français du grand marché des terres et des peuples en Orient, de les dominer dans la Méditerranée, réunit les Turcs, les Anglais et les Russes, mais le même souci les séparera : les Turcs veulent garder ce qu’ils ont ; les Anglais veulent prendre l’Egypte et Malte ; les Russes, qui ont fait, pour autrui, une belle déclaration de désintéressement, prétendent occuper Malte et s’emparer de Corfou, dans l’intérêt de la religion catholique et de ses ordres de chevalerie, dans l’intérêt de l’orthodoxie aussi et des populations de la Grèce. « Sans nous, écrivait un diplomate russe, en avril 1799, ce colosse d’empire, étendu difformément dans les trois parties de l’ancien monde, aurait croulé infailliblement. » S’ils le conservent, c’est pour l’avoir sous leurs prises, pour que d’autres ne l’entament point, pour y susciter des peuples qu’ils protégeront et gouverneront à leur guise. C’est l’ancien plan de Catherine sur la république de Pologne. « Les Turcs seront aux ordres de notre maître », disait Rostopchine. De toutes les façons de tuer cet empire, la plus ingénieuse était encore de s’en faire le médecin.

Ni les Anglais, ni les Autrichiens ne l’entendent de la sorte. A Vienne, on interprète, comme il convient, la clause de désintéressement de Paul Ier ; elle n’a qu’un objet : obliger l’Autriche à renoncer aux conquêtes en Italie. Or, l’Autriche fait la guerre pour s’emparer de l’Italie, pour garder Venise, reprendre Milan, démembrer le Piémont, y joindre les Légations, pour reconquérir les Pays-Bas afin de les troquer contre la Bavière, arrière-pensée qui travaille la cour impériale depuis un quart de siècle. Ajoutez le roi de Prusse qui se réserve de prendre de toutes mains et de transformer sa neutralité en arbitrage, largement payé, par la Belgique, par la Hollande peut-être. [1].

  1. Corfou capitula le 3 mars 1799.