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terrain, l’enjeu de la lutte sont pour le Directoire ce qu’ils seront pour l’Empire : la Hollande, l’Allemagne, l’Italie. Il s’agit de savoir si la France gardera la suprématie, et si l’Europe respectera les limites de la Gaule que la République s’est données. Il semble, à considérer cette guerre de 1799, que l’on assiste à la première opération d’un siège, celui de la France, qui va durer seize ans : c’est d’abord un investissement décousu ; puis, ce sont des assauts désordonnés contre les forts détachés, des sorties impétueuses de l’assiégé qui nettoie au loin les abords de la place, étend ses glacis, construit plus loin de nouveaux bastions ; puis les assiégeans reviennent à la charge, en 1805 et 1806, et sont repoussés plus loin ; ils reviennent encore, et la France les repousse plus loin encore, en 1809. Mais pour se garder, à de telles distances, elle s’éparpille, elle s’épuise. Elle veut en finir, elle tente une sortie à fond, en 1812. Elle est vaincue, et d’avant-poste en avant-poste, de bastion en bastion, de frontière en frontière, elle recule aux limites de 1809, à celles de 1805, à celles de 1802, à celles de 1799, à celles de 1792. Le cycle se ferme comme il avait commencé, par l’invasion du territoire français, et, toutes les conquêtes étant reprises, par une menace, comme en 1792-1793, de démembrement de la vieille France.

Le génie de la Révolution fut pour beaucoup, sans doute, et dans l’étendue de ces conquêtes et dans l’alarme qu’elles inspirèrent ; le génie militaire et politique de Napoléon précipita, poussa aux extrêmes cette colossale entreprise d’extension ; mais si la France parlait un nouveau langage, se proposait et déclarait de nouveaux prétextes, le fond de l’entreprise, aux yeux de l’Europe, demeurait la possession des terres et la domination des peuples par la France.

L’Europe demeurait aussi ce qu’elle avait été, inquiète, jalouse, avide, et l’histoire de la grande guerre du commencement du XIXe siècle se relie ainsi à l’histoire de la grande guerre du commencement du XVIIIe siècle. La République ne fut pas plus redoutée, Napoléon ne fut pas plus craint et plus haï que ne l’avait été Louis XIV. « Il se trouva, — dit Saint-Simon, à l’année 1709, — dans la cassette de Mercy, un mémoire instructif du prince Eugène… On y lut entre autres choses qu’il fallait tout tenter pour remettre la France hors d’état, à jamais, d’inquiéter l’Europe, et de plus sortir de ses limites, où il fallait la rappeler, et, si on n’y pouvait enfin réussir par les armes, on serait obligé d’avoir