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marchaient lentement. Quand elles arrivèrent dans le faubourg, les hussards barrèrent la route, et ouvrirent les portières, criant aux voyageurs : « Es-tu le ministre De Bry, Bonnier, Roberjot ? » Ces malheureux, arrachés de leurs berlines, furent assaillis aussitôt et sabrés[1]. Bonnier et Roberjot moururent sur le coup. De Bry survécut et parvint à s’échapper[2]. Les papiers furent enlevés, le trésor, que l’on disait considérable, pillé ; ni les femmes ni les personnes de la suite ne furent blessées ; les hussards se contentèrent de les épouvanter, de les dépouiller, qui de leur montre, qui de leur bourse. Puis toute cette malheureuse caravane fut repoussée dans Rastadt. Les hussards s’y répandirent en se vantant de leur exploit, étalant les pièces d’or qu’ils avaient volées. Barbaczy écrivit à l’archiduc : « L’affaire est maintenant terminée », et lui envoya les papiers.

L’affaire avait été menée avec brutalité ; les hussards avaient manqué de formes, mis les apparences contre eux. Les chancelleries ne s’offusquent guère que de ces inconvenances ; mais, quand elles y trouvent leur intérêt, elles s’en offusquent avec éclat. Ce fut le cas dans les petites cours d’Allemagne. On y avait intérêt à s’indigner, à pousser de nobles clameurs juridiques, à disputer sur les immunités et les neutralités, car l’attentat s’était commis contre elles encore plus que contre la France. Elles s’indignèrent donc bruyamment.

La Cour de Vienne, sournoise, équivoque, demanda le silence, espérant l’oubli : les papiers ne contenaient rien de ce qu’on y

  1. Des soldats éteignirent les flambeaux ; d’autres arrêtèrent les voitures ; ils demandèrent, — en parlant français, — qui était dedans. Le domestique de Bonnier, qui était sur la première voiture, dit : » C’est le ministre Bonnier. Sur cela, ils ouvrirent la portière, saisirent Bonnier et le tirèrent dehors en repoussant son valet de chambre, qui était à côté de lui. Bonnier se défendit. Les deux mains lui furent coupées et la tête fendue en deux… Roberjot fut percé à côté de sa femme, traîné hors de sa voiture ; il expira à quelques pas de la chaussée, sur la prairie. » — « Pourquoi vingt-cinq hommes se trouvent-ils sur la route qu’ils (les Français) doivent prendre, plutôt que sur une autre ? Bonnier, Roberjot, Jean De Bry sont seuls assaillis. On ne fait rien à Rosenthiel. ni aux femmes, ni aux gens, qu’on laisse aller librement, après leur avoir ôté leur argent, pas même à tous… Un hussard poursuit le valet de chambre de Roberjot et demande s’il est Bonnier. Nicht Bonnier !… On se contente de lui prendre sa bourse et de le laisser aller… » Id, ibid.
  2. Je trouve dans une des lettres déjà citées ce détail curieux : « Le lendemain de l’assassinat. De Bry se réfugia chez un des ministres, s’informa de sa femme, de ses enfans ; il apprit qu’ils étaient sains et saufs ; on les fit appeler : « Après les premiers épanchemens de joie, Jean De Bry se jeta à genoux au milieu de la salle et, avec la plus grande ferveur, remercia Dieu de sa délivrance et de celle de sa famille. »