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vérité historique. Quant à Chateaubriand, dont nous avons particulièrement à nous occuper, une fois arrivé aux affaires, il afficha ouvertement les sentimens qu’il avait un peu dissimulés jusqu’alors vis-à-vis du président du conseil, et dès le lendemain de son entrée au ministère, il écrivit la lettre suivante à M. de La Garde. Je l’ai extraite moi-même du tome 721 de la Correspondance d’Espagne déposée dans nos Archives. Elle est entièrement inédite et éclaire tout le débat.


« Paris, le 1er janvier 1823.

« Monsieur le comte, pour prévenir les fausses interprétations auxquelles ma nomination au ministère des Affaires étrangères pourrait donner lieu à Madrid, je dois entrer avec vous dans quelques détails sur les motifs qui ont amené la démission du duc Mathieu de Montmorency et sur les circonstances de ma nomination.

« Un projet de dépêche avait été préparé à Vérone pour être envoyé à Madrid conjointement avec les dépêches des puissances alliées. La lettre qu’on a substituée au premier projet, et qui est de M. de Villèle, est beaucoup plus forte. Elle a été insérée au Moniteur par une mesure un peu insolite en diplomatie, mais qui, chez la nation française, devait réussir et c’est ce qui est arrivé.

« La raison pour laquelle M. de Montmorency a cru devoir donner sa démission n’est donc point son improbation d’une note plus forte que la sienne, mais parce qu’il désirait que le ministre plénipotentiaire de France se retirât de Madrid avec ceux de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse.

« Je regrette vivement que M. de Montmorency ait précipité une démarche qui a privé la France d’un ministre plein d’honneur, de vertu et de talent. Le Roi n’a pas voulu préciser le moment où vous pourriez être rappelé. Il a pensé qu’un souverain, son parent, pouvait avoir besoin d’un appui, que, la position géographique de l’Espagne vis-à-vis de la France exposant celle-ci à une insulte immédiate, il était bon d’agir avec quelque réserve ; mais d’un autre côté, la note est si menaçante et si explicite qu’il serait possible quelle amenât assez promptement votre rappel, dans le cas où vos nouvelles démarches n’obtiendraient aucun succès ; de sorte que, si M. de Montmorency eût pu attendre quelques semaines, il aurait atteint le même but, sans se séparer de ses amis.