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Chateaubriand lui parut d’abord un peu embarrassé, croyant voir en lui un partisan de la paix ; mais tout à coup s’animant et prenant un ton presque brusque : « Tenez, monsieur de Gabriac, lui dit-il, vous qui avez l’habitude des affaires, croyez-vous que dans le changement de ministre actuel, il y ait la paix ou la guerre ? la croyez-vous nécessaire ? — Assurément, monsieur le ministre, lui répondis-je ; je dois même ajouter que j’ai remis à M. de Montmorency un mémoire qu’il m’avait fait l’honneur de me demander et où je concluais à la nécessité de notre intervention. » Alors l’ouverture la plus entière régna dans la conversation, qui avait été un peu gênée au début, et M. de Gabriac sortit convaincu que, malgré le changement de ministère et par l’influence de Chateaubriand, la guerre aurait lieu. Il n’y avait plus dès lors à rassurer l’empereur Alexandre et d’un commun accord, avec le nouveau ministre des affaires étrangères, le projet de mission spéciale, dont M. de Montmorency avait eu la pensée, fut abandonné. »

Ces notes intimes font bien connaître les détails de la crise qui, jusqu’à la publication des Mémoires de M. de Villèle, était restée peu connue, car les explications de Chateaubriand dans son Congrès de Vérone, et ses Mémoires l’avaient plutôt obscurcie. Au fond, M. de Montmorency voulait la guerre, comme Chateaubriand et La Ferronnays, mais il la voulait surtout pour donner satisfaction à l’opinion royaliste française, et conserver la bonne entente avec les trois puissances étrangères, qui lui paraissait indispensable pour paralyser l’opposition de l’Angleterre. Chateaubriand et La Ferronnays tenaient surtout, et avant tout, à ce que cette guerre fût nationale et rendît à la France une armée qui n’existait plus et une influence qu’elle avait perdue au dehors. Quant à M. de Villèle, il était surtout préoccupé du présent. La pensée qu’il lui faudrait défendre d’abord à la tribune, comme président du conseil, et payer ensuite de nos deniers, comme ministre des finances, une expédition d’un résultat problématique, lui paraissait fort compliquée. En se séparant de M. de Montmorency, il avait espéré instinctivement pouvoir éloigner le plus longtemps possible le calice que les événemens rapprochaient chaque jour de ses lèvres et qu’il finit par accepter bravement, mais plutôt comme une nécessité de la situation de la France monarchique vis-à-vis de l’Espagne révolutionnaire, que par d’autres considérations. Voilà ce qui paraît être aujourd’hui la