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du Lloyd autrichien avait été maltraité à Mersina. Le gouvernement austro-hongrois a demandé des réparations : on n’a pas fait la moindre difficulté pour les lui promettre, mais, bien entendu, on ne les lui a pas données. La même comédie s’est renouvelée deux fois. Alors le comte Goluchowski a perdu patience, et il a envoyé à son ambassadeur à Constantinople, le baron de Galice, l’ordre de présenter un ultimatum au gouvernement ottoman : si satisfaction n’était pas accordée à une date fixe et toute prochaine, Mersina serait bombardé par des naAdres autrichiens. Immédiatement satisfaction a été accordée. Les autorités musulmanes coupables de malveillance envers l’agent du Lloyd ont été l’objet d’une révocation. Le pavillon autrichien a été salué par autant de coups de canon qu’on a voulu. Enfin, la menace du comte Goluchowski a produit tout l’effet qu’il était permis d’en attendre, c’est-à-dire tout l’effet qu’il s’était proposé. Voilà encore un précédent dont on trouverait des exemples dans l’histoire, mais qui semblait abandonné par l’Europe et tombé en désuétude. L’Autriche-Hongrie a eu le mérite de le renouveler. Sans doute, elle n’y courait pas grand risque ; mais encore fallait-il s’en aviser et s’y décider.

On ne s’y attendait probablement pas à Constantinople. L’Autriche-Hongrie fait partie de la triple alliance, et, à ce titre, elle a le plus souvent combiné sa politique avec celle de l’Allemagne : or, l’empereur Guillaume est le meilleur ami d’Abdul-Hamid. Cette fois, pourtant, l’Autriche n’a consulté que ses intérêts, ou sa dignité. Elle n’a demandé l’adhésion de personne, et elle a agi dans la plénitude de son indépendance, ce qui lui a réussi. Le fait vaut la peine d’être signalé. Le comte Goluchowski, dans le récent et très remarquable discours qu’il a prononcé devant les Délégations austro-hongroises, a fait un exposé et comme un tableau de sa politique. Il a eu un grand succès, non seulement devant ses auditeurs, mais en Europe. Sa première affirmation a été naturellement en faveur de la triple alliance : l’Autriche y a toujours été, et elle y reste toujours fidèle. C’est là un pivot inébranlable. Mais l’avantage des pivots est qu’on peut, tout en y restant attaché, tourner dans les sens les plus divers. L’Autriche-Hongrie se tourne volontiers aujourd’hui du côté de la Russie. Le comte Goluchowski a consacré la plus importante, et certainement la plus saillante partie de ses déclarations, à parler du rapprochement qui s’est fait entre l’Autriche et la Russie, rapprochement plein de confiance de part et d’autre, et qui parait devoir durer. Il y a, pour la France, dans le discours du ministre des Affaires étrangères austro-hongrois, une phrase très obligeante, et que nous estimons suffisante ; mais il y en a beaucoup pour la