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près, a été reconnu innocent, et plus particulièrement ceux qui avaient paru d’abord les plus coupables. Le secrétaire d’État aux affaires étrangères, homme considérable et justement considéré, a été sacrifié, d’ailleurs en sourdine, parce qu’il avait mal contenu la révolte de son honnêteté. Cela n’a paru être ni d’un diplomate, ni d’un homme d’État. En France, on couvrirait de fleurs, au moins pendant quelques jours, un ministre qui se laisserait aller ainsi au penchant d’une belle âme. Après l’Allemagne, voyons l’Angleterre. Il ne faut pas non plus chercher dans l’histoire ancienne de ce pays pour y découvrir quelque grand scandale politico-judiciaire. On l’y trouverait, au surplus, sans beaucoup de peine. Mais, hier encore, n’a-t-on pas eu, après le procès du docteur Jameson, celui de M. Cecil Rhodes ? M. Cecil Rhodes est de la race des Warren Hastings et des Clive : il rend de grands services à son pays, sans s’oublier lui-même. Tout le monde connaît à Londres, bien qu’on aime mieux ne pas en parler, les procédés d’administration, de politique et de guerre dont il use dans l’Afrique australe. Une fois, pourtant, il y a eu explosion, moins encore peut-être parce qu’il s’agissait d’un acte de piraterie pure et simple que parce que le coup avait manqué. Nous ne reviendrons pas sur les détails du procès qui a été fait, au docteur Jameson d’abord, à M. Cecil Rhodes ensuite. On y a aperçu aussi, mais toujours dans la pénombre, des choses singulières que nous n’aurions pas manqué d’évoquer au grand jour. M. Jameson a été condamné à une peine insignifiante. Quant à M. Cecil Rhodes, si on ne l’a pas tout à fait renvoyé avec éloges, U s’en est fallu de bien peu. Sa popularité au Cap, loin de subir la moindre diminution de cette aventure, en a été plutôt consolidée. Nous ne comparons pas des affaires aussi dissemblables que celle de M. Cecil Rhodes, celle de Tausch, et celle enfin qui, chez nous, agite en ce moment l’opinion ; mais on peut encore moins comparer les procédés que, de part et d’autre, on a employés ou qu’on emploie pour les traiter. Chaque peuple a ses défauts : seulement les nôtres ont l’inconvénient de nous faire paraître pires que nous ne sommes. C’est ainsi que nous nous présentons nous-mêmes, et on nous croit volontiers sur parole.

Le général de Pellieux, chargé de faire une enquête sur l’accusation dont le comte Walsin-Esterhazy a été l’objet, l’a ouverte aussitôt. Elle n’est pas encore terminée. Par malheur, la nervosité du public augmente tous les jours. Le champ des certitudes reste très limité ; celui des soupçons va toujours en s’élargissant. Après en avoir mis tant d’autres en cause, on a parlé du lieutenant-colonel Picquart, qui a été autrefois chargé du service des renseignemens au ministère de la