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Les souvenirs qu’il avait consignés par écrit de sa conversation avec M. de Villèle intéresseront sans doute le lecteur.

« Notre entretien, nous dit-il, dura environ trois quarts d’heure. Ce fut de sa part un long monologue, où il justifiait naturellement sa politique personnelle. Il me parut rempli d’amertume contre notre diplomatie, comme ne l’ayant pas fait apprécier à sa valeur par les cabinets alliés et surtout par l’empereur de Russie. « Je ne suis pas connu de l’Empereur, me dit-il. Personne ne m’a montré à lui comme je suis. » Je lui assurai le contraire, et je crus pouvoir ajouter que l’empereur Alexandre avait une haute idée de son mérite, mais que, surtout depuis la chute du duc de Richelieu, il ne pouvait accorder sa confiance entière à aucun ministre français, par suite de leur perpétuelle instabilité. Cette défiance le rapprochait forcément de M. de Metternich qu’il était toujours sûr, du moins, de retrouver en possession du pouvoir. « Oui, me dit M. de Villèle, Metternich est un fort habile homme. Il s’est débarrassé avec beaucoup d’adresse des dangers de l’affaire grecque, qui était pour lui sa grosse affaire, et il a rejeté l’Empereur sur la question d’Espagne, la mettant sur nos bras et lui assujétissant la France ; mais cela ne peut nous convenir et nous ne pouvons faire sa partie. Je réclame pour le Roi le droit de guerre et de paix ; c’est à nous de conserver dans nos mains le fil de nos affaires, et nous ne pouvons le livrer aux étrangers. Et lorsque l’ambassadeur d’Angleterre est venu m’offrir sa médiation, ne l’ai-je pas franchement repoussée en lui disant : A Madrid, il y a un Bourbon ; en France, il y a un Bourbon, nous ne voulons pas d’intermédiaire entre nous ? Je regrette que M. de Montmorency ne l’ait pas compris et que nous ayons dû nous séparer. »

En résumé, écrit M. de Gabriac, il fut évident pour moi que M. de Villèle était résolu à tourner les difficultés pour le moment plutôt qu’à les aborder de front, et que jusqu’à ce que le ministère français fût définitivement organisé, il ne prendrait aucune mesure qui fût de nature à nous ramener l’empereur Alexandre, ni par conséquent à rendre ma mission auprès de lui utile, ou même convenable. Aussi, lorsque, après avoir discuté de nouveau la question générale, M. de Villèle me demanda si je croyais utile d’être envoyé en Russie, je lui répondis qu’après toutes les fluctuations politiques qui avaient eu lieu, je ne pensais pas qu’avant la nomination d’un nouveau ministre des affaires étrangères et