Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

historique où il ne doit y avoir de place que pour des faits et des témoignages authentiques, que Chateaubriand avait exercé sur l’âme mobile, mais généreuse et impressionnable d’Alexandre Ier, cet ascendant qu’il avait su prendre sur tous ceux qu’il avait désiré conquérir. Les sympathies entre les hommes sont, en général, réciproques, et si Chateaubriand nous parle, dans ses Mémoires, de l’empereur de Russie dans des termes qui, à certains momens, sont empreins d’un certain enthousiasme, d’une véritable affection, pourquoi les mettre sur le compte d’un snobisme ridicule et ne pas croire à quelque réciprocité de la part du souverain ? Pourquoi ne pas croire à la rencontre de deux grandes âmes, toutes deux meurtries dans leur jeunesse par les chocs de la vie, trouvant plus tard un point de contact entre elles, sur le terrain des affaires, par une pensée commune de rénovation et d’avenir ? Pourquoi ne pas croire à ces attractions bienfaisantes qui devaient réunir un jour deux grands peuples et dissiper les appréhensions que la politique hostile d’autres cabinets avait cherché à faire naître entre eux.

M. de Villèle entrevit tout cela dans la correspondance de Chateaubriand. Avec son remarquable tact d’affaires, si justement apprécié depuis, il avait cherché à en profiter par l’offre qu’il lui fit du ministère des affaires étrangères. Mais M. de Montmorency n’en savait rien, et avec la parfaite loyauté, qui était en quelque sorte sa seconde nature, il redoutait extrêmement l’éclat que sa démission pouvait causer sur l’esprit de l’empereur Alexandre. Le journal de mon père me fournit l’occasion d’en donner une preuve indiscutable et de citer quelques détails inédits fort curieux qui éclairent tout cet incident.

« Le 25 décembre, au matin, nous dit-il, je reçus un billet du ministre des affaires étrangères qui me priait de passer à son cabinet. M. de Montmorency vint au-devant de moi, d’un air remarquablement affectueux et les bras ouverts, comme un ministre qui s’en va. — J’ai donné hier ma démission, me dit-il, parce que le Roi ne veut pas rappeler M. de La Garde de Madrid. L’empereur Alexandre va être fort mécontent de tout ceci. Personne du Congrès ne se trouve à Paris. La Ferronnays ne vient que de quitter Vérone. Partez pour Pétersbourg ; tâchez de calmer l’Empereur. Tenez, voici une lettre pour M. de Villèle où je lui propose de vous confier cette mission. »

M. de Gabriac sortit et se rendit chez le président du conseil.