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« la fonction bestiale et immonde commune à tous les êtres vivans, et attestant clairement l’ignominie de nos origines. » Il demande compte aux femmes, « mères, sœurs, épouses, amantes », de leur indifférence pour « la science et la philosophie », pour « les grandes révolutions de la société moderne. » Il estime que le devoir de l’homme supérieur est de les mépriser, comme d’ailleurs tous les êtres faibles, « les esclaves », ou encore les « barbares ». Se promenant un matin avec sa bien-aimée, il aperçoit un-vieux pêcheur qui s’épuise à ramer. « Voilà, s’écrie-t-il, un être indigne de ma compassion ! La fatigue, pour lui, n’est pas une douleur. Et que sont ses souffrances en regard des miennes ? La souffrance de l’humanité inférieure est le résultat logique, nécessaire, presque providentiel, de la lutte pour la vie entre les individus de notre espèce ! Et je serais un lâche en même temps qu’un sot, si, devant le spectacle de cette souffrance, je me laissais aller à un sentiment de révolte contre les lois immuables de l’existence, qui sont aussi celles du progrès ! »

Le seul devoir des êtres tels que lui est en effet, — il le dit encore à sa chère Flavia, — de « développer leur propre individualité dans toute sa puissance, en l’étendant aussi loin que le permettra la résistance extérieure ». Voilà sa morale, la morale que, sans l’intervention de la malheureuse Flavia, il aurait été capable d’imposer au monde ! Et tout cela, il faut bien l’avouer, est déjà assez déplaisant à lire dans les poèmes philosophiques de Nietzsche ; mais que penser d’un roman où tout cela survient sans rime ni raison, se superposant au récit des premières amours d’un jeune dadais ?

Je pourrais signaler, dans la forme du roman de M. Butti, dans ses artifices de composition et d’expression, bien d’autres témoignages non moins typiques des deux influences que j’ai dites. La grand’mère d’Aurelio nous est présentée comme « atteinte d’un commencement de dégénérescence nerveuse qui l’empêche de jamais fixer sa pensée. » La brune Flavia, l’héroïne, est accompagnée, à travers tout le livre, d’une de ses cousines, Luisa, qui n’a vraiment pour rôle que d’être blonde, et de former ainsi avec Flavia une sorte de groupe préraphaélite, à la manière de celui des trois sœurs des Vierges aux Rochers. Mais ce ne sont là que des détails ; et j’ai hâte d’en venir à un second roman italien récemment paru, la Roberta de M. Zuccoli, où les mêmes influences se montrent, sinon à un plus haut degré, du moins plus clairement encore et avec plus de dommage pour l’intérêt du récit.

Roberta est l’histoire de deux sœurs dont Tune, Roberta, est phtisique, tandis que l’autre, la belle veuve Emilia, resplendit au contraire