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montrer « l’action dissolvante et destructrice exercée sur l’individu par un principe élémentaire, général et continu comme la Mort, opérant peut-être avec moins de promptitude, mais à coup sûr avec autant d’intensité et d’efficacité. » Ce principe est l’Amour, et l’on se demande avec stupeur comment, même dans tout un cycle de romans, les amours d’Aurelio et de Flavia pourront mettre en lumière cette « action dissolvante sur l’individu. » Flavia est si douce, si ingénue, si peu disposée à incarner un « principe élémentaire » ; et Aurélio. avec toutes ses théories, est un si bon petit amoureux !

Je sais que M. Butti ne l’entend pas de cette manière, et que de son Aurelio, en particulier, il prétend faire un être supérieur, le type de ce sur-homme dont rêvent, à présent, tant de romanciers du Nord et du Midi. « La solitude et la vie contemplative l’avaient, nous dit-il, accoutumé aux réflexions larges et synthétiques... Il avait une tête d’une noblesse singulière, qui suffisait à le faire reconnaître pour le produit d’une race d’élite, dirigée de siècle en siècle, par une série de générations successives, vers le sommet de l’espèce... Dernier descendant d’une famille aristocratique, qui avait donné à l’histoire plusieurs noms illustres de capitaines et de diplomates, dès l’enfance il avait senti le besoin de dominer, de se faire un chemin au travers de la foule, de remplir le monde de sa personne et de son génie. Peu à peu, dans la retraite, ses tendances natives de dominateur se précisèrent : les enseignemens de la philosophie positive, et surtout ceux de la sociologie et de l’économie politique, lui ouvrirent un immense horizon d’action. » Ainsi il fut amené à former le plan d’une sorte de ligue, où les trois aristocraties de la naissance, de la fortune, et de l’intelligence s’uniraient pour résister aux progrès de la démocratie. Plan que M. Butti juge magnifique « d’audace et d’insolence », et dont il ne se lasse pas de nous ressasser les détails. Son héros y pense nuit et jour : il sent que son âme, « asservie à un aussi haut idéal, est désormais incapable des sentimens inférieurs du sacrifice et de l’amitié » ; et c’est pour travailler librement à la réalisation de son plan — en d’autres termes, pour écrire, dans les revues, de graves études de sociologie — qu’il s’interdit tout contact avec la femme, « cet être bas et mauvais, le plus terrible ennemi de la personnalité, le démon symbolique de l’Espèce, destructeur de l’individu. » L’amour n’est pour lui — et aussi, comme on l’a vu, pour M. Butti — que « l’éternelle duperie, le stratagème de la nature pour conserver l’Espèce. » Il lui reproche « d’avoir la personnalité », d’être « une indigne renonciation de l’homme à sa supériorité naturelle », ou encore d’être