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précédente, ou, en tout cas, avec plus d’art. Les images y sont plus abondantes et plus fortes, les périodes plus amples, le rythme plus sonore. Au lieu de la simplicité un peu sèche du style de M. Verga et de son école, la nouvelle prose italienne pécherait plutôt par un excès d’emphase ; mais c’est incontestablement une prose poétique, mieux appropriée qu’aucune autre au génie de la langue ; et l’honneur en revient tout entier, incontestablement, au poète du Triomphe de la Mort et des Vierges aux Rochers.

Le tort de ces écrivains n’est nullement, d’ailleurs, qu’ils subissent l’influence de M. d’Annunzio, ni même celle du professeur Lombroso. Leur tort est de ne laisser agir ces influences, comme je l’ai dit, qu’à la surface de leurs livres, de telle sorte qu’elle se trouve encombrée d’une masse de termes, de formules, et de développemens sans le moindre rapport avec le fond des sujets. Qu’on imagine un bon roman d’amour avec un mariage à la fin, ou un tableau de mœurs campagnardes, ou une aventure d’adultère du genre « parisien », tout cela traité simplement, à la façon ordinaire, et parfois même d’agréable façon ; mais qu’on imagine tout cela entremêlé à chaque instant de professions de foi nietzschéennes, ou de commentaires psycho-physiologiques, ou encore d’un étalage de perversité tout à fait hors de propos et n’ayant d’excuse que de s’appuyer sur la théorie du sur-homme, ou sur celle de la « lutte pour la vie ». C’est l’impression que font la plupart de ces livres, comme si les auteurs les avaient remaniés après coup, afin de les mettre à la mode du jour. Comment ne pas regretter qu’ils ne les aient point publiés plutôt tels qu’ils les avaient conçus, au risque de paraître vieux-jeu, et de rester en marge de la Renaissance Latine ?

Voici, par exemple, l’Enchantement, le nouveau roman de M. Butti[1]. C’est l’histoire d’un jeune homme délicat et naïf, Aurelio Imberido, qui, passant l’été sur la rive d’un lac du nord de l’Italie, y fait la rencontre d’une belle jeune fille, et se sent peu à peu entraîné vers elle. Longtemps il résiste à cet entraînement, par un mélange d’orgueil et de timidité. Il s’est mis en tête que l’amour est un sentiment inférieur dont le penseur et l’homme d’action, surtout, doivent se garder avec soin. Et, un jour qu’il se trouve en tête à tête avec la jeune fille, il ne résiste pas au désir de lui exposer cette théorie, un peu pour l’étonner, un peu pour se garantir soi-même contre l’amour qui grandit en lui. Sur quoi la belle Flavia se laisse fiancer ii un autre homme, ce dont le

  1. Le Charme, ou le Sortilège traduiraient peut-être plus clairement sinon plus littéralement le titre italien : l’Incantesimo.