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particulière, qui les prédispose aux impulsions criminelles. « Crime », « criminel », « criminalité », delinquente, delinquenza, il n’est plus guère question d’autre chose dans la littérature italienne. Les Chroniques criminelles de MM. Ferrero et Sighele trouvent plus de lecteurs que les romans les plus pathétiques ; et ceux-ci, du reste, ne manquent point de faire une part considérable à « l’impulsion criminelle », dans la trame de leurs aventures, sans compter que le héros y est toujours un « dégénéré supérieur », et souvent un « épileptoïde », comme il convient aux hommes de génie.

Tout cela donne, naturellement, à la nouvelle littérature italienne un caractère très spécial ; et c’est cela qui l’a tant changée, depuis deux ans, mais dans un sens tout à fait différent de celui que pouvaient nous faire prévoir les pronostics recueillis par M, Ojetti. L’influence de M, d’Annunzio et celle de M. Lombroso l’ont rendue à la fois scientifique, nietzschéenne, préraphaélite, et criminologique. Les romans italiens s’appellent maintenant l’Invisible, l’Automate, Jacques l’Idéaliste ; et l’Invisible est une explication psycho-physiologique des phénomènes spirites ; l’Automate raconte les aventures galantes d’un jeune homme à impulsions fatales ; Jacques l’Idéaliste est une dissertation sur les divers moyens de faire son bonheur en ce monde. La Faute d’une femme honnête, de M. Enrico Castelnuovo, est un gros roman tout employé à débattre l’intéressant problème que voici, et qui était bien digne, en effet, d’occuper un compatriote de M. Niceforo : pourquoi faut-il qu’une femme honnête ne puisse faillir sans porter aussitôt la peine de sa faute en devenant enceinte, tandis que les femmes perdues peuvent, au contraire, passer impunément d’un amour à l’autre, être toujours amantes sans jamais être mères ? L’étonnant problème ! Et combien, à supposer qu’il eût quelque fondement réel, combien il y avait d’intérêt à le discuter !

Je serais désolé, après cela, de paraître injuste pour les jeunes romanciers italiens : d’autant plus que certains d’entre eux ont un talent très réel, et que, si l’influence de M. Lombroso n’a guère été pour eux, jusqu’ici, d’aucun profit littéraire, il n’en pouvait être de même de celle d’un artiste tel que M. d’Annunzio. Celle-ci a, dès maintenant, sensiblement rehaussé, sinon la portée, du moins le ton du roman italien. Les livres de tous ces jeunes gens sont, autant que j’en puis juger, beaucoup mieux écrits que ceux des romanciers de la génération