de Nietzsche, ou encore les vagues images de Rossetti et des préraphaélites anglais. Mais comme, avec tout cela, ils ne lui ressemblent en rien, étant surtout des esprits clairs, positifs, et d’ordinaire un peu secs, ces innombrables emprunts qu’ils lui font se plaquent, en quelque sorte, à la surface de leurs livres ; et c’est pour nous une impression à la fois piquante et mélancolique, de découvrir, sous cet appareil factice de mysticisme et de perversité, de bonnes petites histoires d’autrefois, les plus innocentes du monde.
Encore l’influence de M. d’Annunzio n’est-elle pas la seule qu’ils subissent, ni, à beaucoup près, la plus regrettable. Ils se montrent très préoccupés, aussi, des nouvelles théories, ou plutôt hypothèses de la science, et en particulier de celles qu’inventent tous les jours, avec une fécondité et une assurance imperturbables, les « anthropologues », « criminologues », « psycho-physiologues » italiens de l’école de M. Lombroso. On sait combien cette école est active et bruyante, et l’insistance qu’elle met à transformer en des lois générales de menus faits observés en passant. Mais peut-être ne se rend-on pas compte de l’énorme importance qu’elle a su prendre, en Italie, et du contre-coup vraiment extraordinaire qu’elle y a produit, dans les domaines les plus divers de la vie intellectuelle. Sur vingt livres italiens qui paraissent à présent, dix au moins sont manifestement inspirés des doctrines lombrosistes ; et dans la plupart des dix autres ou peut être assuré de trouver à chaque page quelques-unes de ces formules imposantes et vides qui constituent, en somme, le plus clair des conquêtes scientifiques du professeur de Turin. « Dégénérescence », « sexualité », « type mattoïde », voilà des mots qu’on rencontre, à présent, jusque dans les poèmes, et dans les romans-feuilletons. Le plus gros succès littéraire est allé, cette année, à un ouvrage de M. Niceforo, la Criminalité en Sardaigne, où l’on apprend que la Sardaigne est, au point de vue psychologique, divisée en zones, et que dans chacune de ces zones l’instinct naturel du crime se traduit sous une forme différente : c’est un peu comme si, en s’appuyant sur un examen statistique des faits-divers de nos journaux, on nous disait qu’à Belleville le délit endémique est le « coup du père François », tandis que Grenelle a le monopole du « vol à la tire », et que le « vol à l’américaine » se produit de préférence dans les environs de la gare Saint-Lazare. Un autre criminologue, M. Sighele, étudie, dans un gros ouvrage plein de termes nouveaux, la criminalité sectaire, et démontre, avec une égale certitude, que tous les membres d’une secte, religieuse ou politique, contractent, en s’y affiliant, le germe d’une maladie morale