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nature », de ces mots si faciles à trouver. Il prête à ses coquins une large inconscience, mais il leur laisse pourtant l’hypocrisie, comprenant bien que supprimer l’hypocrisie, c’est supprimer, pour une grande part, la vérité des personnages et des discours. — Enfin, simple et vrai dans son style, il a su se garder du fatigant dialogue « argotique » qui est à la mode depuis quelques années. Le tout est simple, à la fois franc et mesuré. Et cette modération même, qui est maîtrise et possession de soi, rend l’œuvre plus significative et plus poignante.

Le sujet, d’un intérêt général et toujours actuel, est des plus importans, si rien n’égale la malfaisance et la lâcheté des « hommes d’affaires » improbes, et si c’est un des scandales du Code civil que des gredins puissent si aisément trouver des instrumens de fraude et d’iniquité dans des règlemens qui ont pour objet avoué la sauvegarde du droit et de la justice. — Les personnages sont peints avec ampleur, chacun ayant bien sa figure. Tessier, plus « vieux-jeu » (un peu cousin d’Harpagon amoureux), l’onctueux maître Bourdon (un peu petit-fils, par l’accent, du notaire du Malade Imaginaire), l’architecte aux faux airs d’artiste et de bon garçon, sont aussi nettement et largement « différenciés » que, d’autre part, les trois jeunes filles : la trop tendre, la romanesque et la résignée. — L’action est lente, mais continue, terrible par le resserrement progressif et sûr du vol des « corbeaux » autour de leur proie. — Et cependant, si l’action est de drame, la forme est presque toujours de comédie. — Les scènes, surtout, où naît et croît le désir affreux du vieux Tessier sont d’une exécution qui sent la grande manière classique ; et le sacrifice final est atroce, sans nulle emphase et sans un cri. Oui, vraiment, il y a là quelque chose de l’art de Molière, assombri, il est vrai, et moins soucieux de la « séparation des genres. » Encore les Corbeaux, sauf le dénouement, ne sont-ils guère plus sombres que le Tartufe.

Un a reproché à M. Henry Becque sa « stérilité ». J’estime, pour moi, que c’est un habile homme. Il a fait précisément, dans les Corbeaux et la Parisienne, les deux comédies essentielles qu’il devait faire, pour la production desquelles il avait été mis au monde, et il s’est abstenu d’en faire d’autres qui, même bonnes, eussent sans doute été superflues et n’eussent rien ajouté de considérable à ce que nous savons de lui. Quel flair ! Quelle économie de son temps et du nôtre ! Et comme il est facile d’être juste envers un génie si peu encombrant !


Il y a deux ans, dans une comédie Intitulée l’Argent, M. Emile Fabre nous avait montré des enfans déshonorant leur mère pour s’assurer dans son entier l’héritage paternel. La pièce était triste, d’une vérité