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médiocrement, — et même à contresens, du moins en ce qui regarde les rôles de Tessier, du professeur de musique, et de deux des demoiselles Vigneron. Car les Corbeaux, selon toute apparence, marqueront une date dans l’histoire de notre théâtre, la première date importante après celle de la Dame aux Camélias.

Une pièce peut marquer une date et n’être point un chef-d’œuvre, — et inversement. — Ce n’est pas nécessairement un signe de génie que d’écrire une pièce qui soit une date, grande ou petite. Je ne dirai pas que ce soit à la portée de tout le monde ; mais peu s’en faut. Car, si Molière, Marivaux, Sedaine et Beaumarchais l’ont fait, Boursault, Destouches, La Chaussée et Mercier l’ont fait aussi.

Les Corbeaux ont le double mérite de « marquer une date » et d’être une comédie de premier ordre.

Dans Augier et Dumas, puissans l’un et l’autre, — s’il est permis de le dire encore, — il traînait, malgré tout, du Scribe. Ils avaient volontiers des « habiletés » excessives, des fables artificieuses et romanesques ; Augier, par goût naturel, je pense ; Dumas, par la nécessité où il était d’asservir les faits à la démonstration de ses thèses. Ils n’étaient ni l’un ni l’autre sans rhétorique, et tous deux avaient la superstition du dialogue constamment piquant et de « l’esprit de mots. » — M. Henry Becque, avec une admirable décision, restaure la grande comédie réaliste, qui sans doute n’était point absente de l’œuvre de ses prédécesseurs, mais qui ne s’y montrait point, si l’on peut dire, à l’état pur : entendez une comédie où (comme dans la tragédie de Racine — mon Dieu, oui ! — ) la situation initiale, de réalité moyenne, est engendrée par les caractères et se développe ensuite le plus uniment du monde et presque sans aucune intrusion du hasard.

On a fait souvent remarquer, et avec raison, que tout le Théâtre-Libre dérive des Corbeaux. Mais M. Becque est exempt des partis pris et des outrances désobligeantes par où devaient se signaler, facilement et bruyamment, ses jeunes disciples. Il ne donne point dans le pessimisme puéril, dans le schopenhauerisme d’atelier ; et il se garde, en général, de ce que M. Francisque Sarcey n’a pas craint d’appeler un jour le « genre rosse. » — Les braves gens, chez lui, sont victimes, parce que c’est là le train des choses : mais au moins croit-il à l’existence des braves gens. Et il les aime. Ce dur observateur a mis de la cordialité dans la peinture de M. et de Mme Vigneron, qui sont excellens, et de leurs trois filles, qui sont charmantes, chacune à sa façon. Même, il n’a pas reculé devant le type traditionnel de la vieille servante dévouée à ses maîtres. — Il est relativement sobre de « mots de