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Ah ! cruelle pitié de torture suivie !
Que me faisait la mort quand tu n’étais la vie,
Quand mon désir, que rien ne peut plus apaiser,
Ignorait que mon sang ne vaut pas ton baiser ?


Et ce vers original conclut l’entretien :


L’amour, c’est le soleil ! L’amour, c’est le printemps !


Sérieusement, on n’a pas le droit de faire ces vers-là quand on en peut faire de si beaux, et quand, jusque parmi cette panade de Tristan, nonchalamment et sans travail, on a pu composer un morceau aussi délicieux que le dialogue — amébée — d’Yseult et d’Oriane, glorifiant entre elles, sans le nommer et sans savoir que c’est le même, le héros que chacune d’elles adore (Acte II, scène 5).

Je dois à la vérité de reconnaître que Tristan, à la première représentation, a soulevé maintes fois les plus chauds applaudissemens. Si la presse avait été moins dure, la pièce pouvait être sauvée. La foule, même celle des « premières », se fait de la poésie l’idée qu’elle peut. Je me souviens qu’à Grisélidis, ce mot d’une mère à un enfant qui vient de ramasser un oiseau blessé :


Trop petite est ta main pour porter la souffrance,


fui salué d’applaudissemens frénétiques, et qu’une dame, derrière moi, en gloussait de plaisir...

L’auteur me croira-t-il, après cela, si je lui affirme que je ne triomphe point de ses faiblesses, et que ma mauvaise humeur est faite d’une vieille admiration déçue et qui ne peut pas se consoler ?


Comme au front monstrueux d’une bête géante...
O Mer, sinistre Mer...
On dirait que la terre a bu le sang des lis...
Parlez, terrestres voix, chœur nocturne des choses...
Pareille au fin réseau que sur sa gorge nue...
O lampes des tombeaux, astres, feux symboliques !...
Le bleu du ciel pâlit. Comme un cygne émergeant...
Le soleil, déchiré par les rocs ténébreux...
Luisant à l’horizon comme une lame nue...
Des souffles attiédis, sous les cieux taciturnes...


Relisez, dans les Renaissances, les poèmes qui commencent ainsi, et vous me comprendrez.


L’Odéon a eu raison de reprendre les Corbeaux, et tort de les jouer