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parlant du ciel et de sa mère que Tristan consent au plus sacrilège amour. Il dit à Yseult que, lorsqu’il la vit penchée sur son lit, il s’est souvenu du visage maternel incliné sur son berceau :


Sur mon berceau grandi revoyant son image.
Je me croyais, dans un rêve délicieux,
Ici-bas près de vous, près d’elle dans les cieux !
Car au ciel seulement et plus haut que la terre.
Celui qui dans son cœur porte la vérité
M’enseigne qu’un amour sublime, auguste, austère.
Seul, verse dans deux cœurs la même éternité.


Et pareillement Yseult :


Oui, je crois comme vous que plus haut que la terre
D’un amour éternel fleurit le doux mystère.


Cela, quoique vague, est du plus pur platonisme, et qui n’est pas trop à sa place, si l’amour fatal, celui qui va jusqu’au crime, au meurtre et au suicide, est bel et bien l’amour des sens et n’en est point un autre. Mais ce sont là, n’est-ce pas ? des choses qu’on dit et qui ne tirent pas à conséquence... Tristan et Yseult paraissent ici, pour la « poésie » du sentiment, de la force de Léon Dupuis et d’Emma Bovary échangeant des phrases sur l’ « idéal » dans la salle de la mère Lefrançois. Il est évadent qu’il y a du « n’importe quoi » dans les développemens de M. Armand Silvestre. Et donc, une minute après qu’elle a tenu ces propos séraphiques, et bien que Tristan lui ait dit : « Nous avons entre nous votre père et mon honneur », Yseult se pâme sur le sein du jeune homme, dont les discours n’ont plus rien du tout de platonique :


Donne-moi donc alors ta lèvre bien-aimée !
Laisse ma bouche en feu sur ta lèvre pâmée
Boire le lent parfum de tes cheveux flottans !


Et cette transformation de sentimens, si rapide qu’elle soit, et ce baiser concret après ce charabia mystique, sont assurément dans la nature (les vaudevillistes ne l’ignorent pas) ; mais, si vous voulez savoir quel argument suprême, quel merveilleux cri de passion a eu le pouvoir de faire descendre Yseult, si soudainement, du ciel en terre, le voici tout entier :


Yseult, alors pourquoi m’avoir sauvé la vie ?
La douceur de mourir, par vous, me fut ravie.
Quand rien ne m’attachait au fil tremblant des jours,
Et je dois ma souffrance à vos lâches secours.