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avec son « flirt » juste à l’heure où son mari doit se battre en duel, s’avise que celui-ci ne lui est pas si indifférent qu’elle le croyait, et lâche l’amoureux, près de qui elle se fait remplacer par sa bonne. A vrai dire, les deux « petites folles » tiennent peu de place dans cette simple fable : mais vous y verrez deux maris diversement — et exquisement — philosophes ; une impétueuse « vieille folle », qui est la mère des « petites folles », et surtout une histoire de duel qui est (si j’ose ici ce mot grave) d’une « psychologie » bien juste et bien fine, en même temps que d’une drôlerie impayable. L’action n’est que de vaudeville, mais les personnages sont de comédie. Et enfin il y avait quelque temps que je n’avais entendu un dialogue aussi spirituel.


Je n’ai aucun plaisir, je vous assure, à constater que Tristan de Léonois ne vaut pas Iseyl, qui ne valait pas même Grisélidis. Je n’y ai aucun plaisir, parce que M. Armand Silvestre, ayant été un grand poète lyrique, me demeure en cela respectable, et parce que, même pour qui ne le connaît que par ses écrits, il est évidemment un fort bon homme.

Les Rimes neuves et vieilles et les Renaissances (surtout les Paysages métaphysiques et la Vie des morts) sont de très beaux poèmes panthéistiques où l’on retrouve, avec une sensualité plus ardente, la splendeur ample et imprécise du Lamartine des Harmonies et même, par delà, des poètes inconnus qui écrivirent les Vedas et qui, essayant d’exprimer les phénomènes de la nature, créèrent sans efforts des mythes immortels. Que si, dans le même temps où il paraissait ressusciter, en ses images magnifiques et flottantes, quelque chose au moins de l’antique poésie hindoue, M. Silvestre a pu se complaire aux aventures de Cadet-Bitard et du commandant Laripète, il ne faut pas s’en étonner outre mesure. Opposer ces deux « manières » entre elles, comme inconciliables, et, de la grossièreté habile du conteur, conclure à l’insincérité du poète, serait d’une critique étroite et pharisaïque. Comme il a, dans ses poèmes, l’imagination aisément mythique des très anciens hommes (Matutina, Vespera), ainsi a-t-il des gaietés primitives et d’une épaisseur ingénue. Sublime ou bas, je crois à la spontanéité de son « naturisme ».

Oui, c’est un bon homme. Tout fiel est absent des innombrables pages qui coulent de lui depuis plus de trente années. Il est enthousiaste à jet ou, pour mieux dire, à flux continu. Nul poète n’a célébré plus d’anniversaires, ni harangué avec bienveillance plus de bustes et de statues. Il bénit et glorifie aussi naturellement que d’autres raillent