aux appels désespérés de son compagnon : « Trois fois Hercule cria : Hylas ! Trois fois l’enfant l’entendit, et une voix indistincte sortit de l’eau, et quoiqu’elle fût très proche, elle semblait déjà venir de loin. » Après avoir lu ces vers, Tennyson poussa un soupir de béatitude : « Je serais heureux de mourir, dit-il, si j’en avais écrit de pareils. »
Non seulement il n’a jamais poursuivi que son droit, n’a jamais été tourmenté par les ambitions extravagantes qui gâtent la plus belle vie du monde ; si l’on en juge par le livre de son fils, les orages du cœur et des passions lui ont été épargnés. C’était une de ces âmes à climat tempéré, qui ne connaissent ni les âpres bises du Nord ni les ardeurs violentes des tropiques. Il n’eut pas de peine à régler ses mœurs et ses actions ; il était né tout réglé ; il avait sucé avec le lait l’amour de l’ordre, de la discipline ; il avait dans le sang comme une sagesse native.
On l’accusait d’aimer trop le tabac ; ce fut, je crois, son seul excès, sa seule débauche et sa seule servitude. Il eût porté sa tête sur un échafaud plutôt que de renoncer à sa pipe. En 1876, M. Gladstone l’ayant invité à venir passer quelques jours chez lui, à Hawarden, il lui fit ses conditions : « Puisque vous voulez bien m’assurer, lui écrivait-il, que vous vous arrangerez comme vous pourrez pour ne pas perdre ma visite, arrangez-vous pour me donner une chambre où je pourrai fumer ma pipe, aussi souvent qu’il me plaira. » Il voyait flotter dans cette fumée toutes les images dont il aimait à s’inspirer ; elle lui montrait la figure des gens et des choses qui lui plaisaient, le ruisseau de Somersby, ses myosotis et ses mousses, le passé, l’avenir, les pays qu’il avait vus et ceux qu’il rêvait de voir. Mme Tennyson lui reprochait de confondre l’usage avec l’abus, de donner à sa pipe des heures qu’il aurait dû consacrer à sa correspondance. Ayant reçu le 21 décembre 1876 une lettre courtoise et fort gracieuse de Robert Browning, il lui rapporta, pour toute réponse, un entretien qu’il venait d’avoir avec sa femme, en sortant de table : — « Pourquoi n’avez-vous pas remercié M. Browning de sa lettre ? — Pourquoi lui écrirais-je ? Je lui avais envoyé mon volume, il m’en a accusé réception. — Oui, mais en quels termes ! Écrivez-lui qu’il vous a décerné une couronne de violettes. — Dites plutôt une couronne d’or. — J’écrirais pour vous si je le pouvais ; je dois rester couchée et ne puis ni écrire ni lire. — Bien, je vais monter pour fumer ma pipe et lui écrire. — Oui, vous allez monter, et, votre pipe à la bouche, vous minuterez une lettre que vous n’enverrez jamais. — Vous vous trompez, je lui rapporterai notre entretien... Et là-dessus, il monta, fuma, et, malgré sa pipe, il écrivit et signa :