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Montmorency eut à lui rendre compte d’un autre acte diplomatique qu’il n’avait pu consommer, n’y étant pas autorisé par ses instructions, mais pour lequel il sollicitait l’approbation de Sa Majesté. C’était l’envoi d’une note commune, quant au fond, aux quatre puissances continentales qui s’étaient, pourtant, réservé de s’exprimer chacune dans les termes convenant le mieux à ses propres vues. Cette note, faite pour conduire à la rupture de toutes relations avec le gouvernement révolutionnaire d’Espagne, devait être suivie du rappel des ambassadeurs des quatre puissances.

Une telle mesure pouvait convenir à la Russie, à la Prusse, à l’Autriche, sans point de contact avec le territoire espagnol, sans rapports de famille, sans liens politiques directs avec ce pays ; mais pour la France, cet acte en compromettait trop évidemment la dignité, les intérêts et la situation, pour ne pas rencontrer une grande opposition, tant de la part du Roi que du président de son Conseil. Il en résulta au sein du ministère, seul encore initié à la connaissance de cet acte, des dissentimens qui ne purent échapper longtemps à l’attention des observateurs. Ils furent bientôt pénétrés, et de là à être exploités, excités et envenimés par tous les hommes que leur propre ambition intéressait à un changement dans les régions du pouvoir, il n’y avait qu’un pas…

Dans l’espoir de parvenir à une entente, le Conseil des ministres se réunit presque chaque jour de ce mois de décembre chez le ministre de la maison du Roi, alors indisposé (marquis de Lauriston), et presque chaque jour aussi, le Roi consacra quelque temps à s’entretenir successivement avec M. de Montmorency et avec moi. Enfin, il fallut en venir à une décision. Dans le Conseil du 25, M. de Montmorency insista pour que la France s’associât aux trois autres puissances dans l’envoi simultané d’une note au gouvernement espagnol et le retrait de l’ambassadeur français, au moment où ceux des autres puissances quitteraient Madrid. Je soutins le plan que je croyais préférable de suivre, mais je fus seul, dans le Conseil, de cet avis. Tous les autres ministres regardaient comme le parti le moins sujet à inconvéniens celui qui ne fournissait pas aux souverains le prétexte de craindre d’être abandonnés par la France dans la répression de la révolution espagnole, — qu’ils désiraient pour se retirer eux-mêmes de l’alliance conclue avec nous afin de contenir l’Angleterre. Enfin, ils espéraient éviter la retraite du plénipotentiaire de Vérone et un changement ministériel inopportun dans des circonstances aussi graves. Toutefois, pendant cette discussion, ma démission était sur mon portefeuille comme celle de M. de Montmorency sur le sien. Je trouvais la sûreté de la France et la dignité du Roi compromises par l’envoi de notes analogues émanant des quatre puissances et par le retrait simultané de leurs quatre ministres à Madrid. M. de Montmorency jugeait sa délicatesse atteinte et son honneur en jeu, si le Roi ne tenait pas les engagemens pris par lui à Vérone envers les souverains, quoique ces engagemens n’eussent été que conditionnels et subordonnés à la ratification de Sa Majesté.

Après avoir entendu l’opinion motivée de chacun de ses ministres, le Roi prit à son tour la parole et traita la question sous tous ses rapports avec une grande supériorité de vues. Il termina par ces mots : « Les autres souverains ne sont pas comme nous en contact avec l’Espagne par leurs