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LA VIE D’ALFRED LORD TENNYSON

L’ouvrage en deux gros volumes, de plus de cinq cents pages chacun, que vient de consacrer à la mémoire d’Alfred Tennyson son fils Hallam, est moins une biographie en forme qu’un ample et copieux recueil de documens, où puiseront comme à la source les futurs biographes de l’auteur d’In Memoriam et de Maud[1]. A mesure que son talent mûrissait, Tennyson visait davantage à la sobriété, à la concision ; il aimait à dire « qu’on reconnaît le véritable artiste à ce qu’il sait se borner, et qu’en certains cas la moitié vaut plus que le tout. » Il n’a pas légué à son fils son aversion pour la prolixité, pour les minuties, pour les inutiles longueurs ; on en trouvera beaucoup dans les deux gros volumes, qui pourtant se laissent lire sans fatigue, sans ennui. Le second lord Tennyson avait son intention : il tenait à prouver que son illustre père était un de ces hommes qu’on peut étudier à la loupe, sans que leur gloire en souffre. Ce poète d’un caractère noble et pur a mené une vie sans reproche. Ajoutons que cette irréprochable vie fut aussi douce que belle, qu’on peut le ranger sans hésitation au nombre des poètes rares en leur espèce qui furent des hommes heureux, qu’il n’eut jamais de grandes difficultés avec lui-même ni de procès avec la destinée.

Le parfait bonheur n’étant pas de ce monde, il eut sa part de ce que l’Église appelle le pain d’absinthe et d’amertume. Mais s’appliquant à être heureux, il n’avait pas de complaisance pour ses chagrins et s’en délivrait en les mettant en vers. Il perdit dans sa jeunesse le plus cher de ses amis ; son deuil lui a inspiré la plus admirable de ses œuvres.

  1. Alfred lord Tennyson, a Memoir by his son, 2 vol. in-8o ; Londres, 1897, Macmillan and C°.