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ouvrir une voie navigable de 1 600 kilomètres entre la Baltique et la Mer-Noire. Les États-Unis ont dépensé plus d’un milliard pour leurs routes fluviales depuis 1880. Les grands lacs sont devenus un golfe de l’Atlantique, qui, dans quelques années, sera joint, par des canaux à grande section, à New-York et à la Nouvelle-Orléans par le Mississipi. Or chacun sait la prodigieuse activité des chemins de fer américains : la concurrence, si redoutée ici, ne paraît pas les atteindre.

Partout, en Europe, en Amérique, au Japon, on comprend que tout grand développement commercial et industriel profite en fin de compte aux chemins de fer ; qu’un départ se fait entre les denrées lourdes, encombrantes, peu fragiles, et les produits légers, fragiles ou livrables à date fixe et rapprochée ; que les wagons ne peuvent, comme les bateaux, servir de véritables entrepôts ; qu’ils n’en ont ni les dimensions ni la résistance ; que leur nombre ne suffit pas toujours, et que, dans les temps d’encombrement, les deux avantages de la voie ferrée, — rapidité et régularité des livraisons, — disparaissent pour ne laisser que l’inconvénient de la cherté. Ces vérités ne se discutent même plus à l’étranger, et lorsqu’on revient de ces congrès de navigation intérieure qui se succèdent depuis douze ans en Europe, il est douloureux d’entendre ses compatriotes agiter sans fin une question déjà résolue partout.

C’est chez nous, d’ailleurs, qu’elle se pose le moins. Les chemins de fer redouter la concurrence ? Mais leur matériel est si imparfait qu’ils ne peuvent suffire au commerce. Toute expédition hors de coutume les jette dans le désarroi. Faut-il rappeler la mémorable vendange de 1893 ? et cet affolement des chemins de fer, quand l’Allemagne a fait chez nous une rafle de pommes, en 1895 ? Le petit expéditeur attendit des jours et des jours les wagons nécessaires, et le consommateur ne recevait pas les produits commandés, entassés provisoirement sur les quais d’une gare. Même à l’ordinaire, notre matériel suffit si peu, que les Compagnies doivent en louer à l’étranger, à des taux peu avantageux ; qu’arriverait-il en temps de guerre, surtout si la nation ennemie était précisément celle dont on a loué les véhicules ? Parfois, si les wagons suffisent, leur qualité est défectueuse : lorsqu’on envoie des wagons non couverts aux fabricans de sucre, leurs produits, avariés par l’humidité, peuvent être repoussés par la commission d’arbitrage dans la proportion de 5 sur 8 (cela s’est