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REVUE DES DEUX MONDES.

les journaux apportés par Boyer. Il exagérait les mauvaises nouvelles, les faisait répandre dans les camps. Pas de moyens qu’il n’eût trouvés bons pour énerver son armée, et briser en elle toute énergie, pour la transformer en eunuque docile, en instrument passif de sa politique… Qu’avait-il donc rêvé, ce soldat heureux, ce parvenu de la guerre, enrichi d'honneurs ? Quel pouvoir ? quelle domination ? Comment, pas une fois, il n’avait été ému par la détresse de ses soldats, leur faim, leur misère ! Jamais le râle des blessés n’était parvenu à son oreille ; jamais il n’avait mis le pied dans les hôpitaux ou les ambulances ! Inconnu aux troupes mêmes, passant obscur et sans escorte au milieu d'elles, vite retiré dans sa louche maison, il semblait étranger à toutes ces souffrances dont il avait la garde, à toutes ces vies dont l’honneur lui avait été confié.

Les fautes, les erreurs de chacun, ne couvraient pas les siennes. En vain avait-il cherché à s’abriter derrière ceux qu’il laissait écraser dans le péril. La loi était formelle. Il commandait à tous, il paierait pour tous. Les portes de l’histoire s’étaient ouvertes devant lui : l’une menait vers des champs de lauriers sous la lumière ; l’autre entre-bâillait sa sentine obscure.

Il avait choisi.

Paul et Victor Margueritte.
(La dernière partie au prochain numéro.)