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La batellerie se défendit mieux ; on s’attache plus à sa maison, à sa barque qu’à un titre en portefeuille. Un article publié par M. Bigeard dans la Revue d’Anjou nous donne d’intéressans détails sur l’activité de la navigation jusqu’en 1865 environ. Le chemin de fer fut prolongé de Tours à Angers en 1852, mais la lutte continua. Les trains de bateaux (dix ou douze parfois) se succédaient très nombreux sur le fleuve ; les quais de Saumur étaient si encombrés qu’on en reconstruisit alors de magnifiques ; on y étend le linge aujourd’hui ! A Angers, la vie se concentrait autour des quais, nouvellement élevés. Mais du jour où le chemin de fer eut acheté les grandes compagnies de navigation, le transport des voyageurs cessa sur la Loire, et les remorqueurs, en disparaissant à leur tour, portèrent un coup terrible à la batellerie. Les bateaux moins nombreux, on veilla moins à l’état du lit, cercle vicieux, car cette détérioration même décourageait la navigation[1]. Le mal est ancien : il date de la Révolution, nous le verrons plus loin.

Il se perpétue : non content d’équilibrer les dépenses et les recettes, on considère le fleuve comme une source de bénéfices, et l’on voit par exemple, entre Angers et Nantes, une section du fleuve coûter 17 090 francs d’entretien (22 000 en 1889) et rapporter 30 535 francs (plantations, pèche, etc.). Il est inadmissible qu’on détourne de l’amélioration de la Loire, qui en a tant besoin, l’argent qu’elle produit. Ses affluens d’ailleurs ont été aussi négligés : sur les canaux bretons, les affluens de la Maine, on se plaint de la vase, des herbes, du délabrement des barrages.

Le second Empire, qui osa aliéner les canaux du Midi à une compagnie de chemin de fer, n’eut cure des voies navigables. Pour ramener à elles l’opinion et décider de nouveau le gouvernement à s’en occuper, il fallut trente ans. Pendant ce temps, le tonnage effectif sur le réseau de la Loire tombait de 12 millions de tonnes à 7. Mais ce chiffre comprend les canaux qui unissent la Loire aux fleuves voisins. Le tonnage kilométrique, sur la Loire seule, est tombé entre 1853 et 1895 , de 96 500 000 t. à 31 500 000 ; sur la Vienne de 1 207 075 à 116 119 ; sur la Mayenne de 4 425 259 à 2 804 128 ; sur le Loir de 1 657 810 à 344 949. On ne peut mieux

  1. Un fait montre bien la détérioration du fleuve : les ardoises d’Angers arrivaient jadis en un mois au plus à Saint-Aignan-du-Cher ; il leur en faut quatre maintenant. Aussi les envoie-t-on par chemin de fer à Saint-Aignan, où on les remet en bateau.