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La Fontaine, en 1663, donne à sa femme ses impressions de voyage en arrivant à la Loire : « Elle est près de trois fois aussi large à Orléans que la Seine l’est à Paris ; l’horizon très beau de tous côtés, et borné comme il le doit être. Si bien que, cette rivière étant basse à proportion, ses eaux fort claires, son cours sans replis, on dirait que c’est un canal. De chaque côté du pont, on voit continuellement des barques qui vont à voiles ; les unes remontent, les autres descendent ; et, comme le bord n’est pas si grand qu’à Paris, rien n’empêche qu’on ne les distingue toutes. On les compte, on remarque en quelle distance elles sont les unes des autres ; c’est ce qui fait une de ses beautés ; en effet, ce serait dommage qu’une eau si pure fût entièrement couverte par des bateaux. Les voiles de ceux-ci sont fort amples, cela leur donne une majesté de navires, et je m’imaginai voir le port de Constantinople en petit. »

Mme de Sévigné prit aussi la route de la Loire, à plusieurs reprises, pour se rendre aux Rochers : « On se croit obligé de prendre des bateaux à Orléans comme on achète des chapelets à Chartres. » Ainsi, en 1680, elle partit le 9 mai au matin, d’Orléans, et le 13, arrivait à Nantes. Elle avait installé son carrosse sur le bateau. « Nous avons baissé les glaces ; l’ouverture du devant fait un tableau merveilleux ; celle des portières et des petits côtés nous donne tous les points de vue qu’on peut imaginer. Nous ne sommes que l’abbé et moi dans ce joli cabinet, sur de bons coussins, Bien à l’air, bien à notre aise ; tout le reste comme des cochons sur la paille. Nous avons mangé du potage et du bouilli tout chaud ; on a un petit fourneau, on mange sur un ais dans le carrosse, comme le Roi et la Reine. » En septembre 1675, elle avait pris la même route, mais « les eaux sont si basses et je me suis si souvent engravée que je regrette mon équipage qui ne s’arrête pas et qui va son train. »

Ainsi la Loire exposait les voyageurs à des mécomptes. Retenons le fait sans le grossir outre mesure : le transport des voyageurs diminuait si peu, qu’au XVIIIe siècle on vit établir plusieurs services réguliers de coches d’eau. En 1770, 1773, le bureau des Marchands fréquentans s’y oppose : une compagnie privilégiée nuisait aux mariniers. Mais, en 1779, on organisait le service ; la Loire fut divisée en trois sections : de Roanne à Nevers, de Nevers à Orléans, d’Orléans à Nantes. Sur chacune, deux départs par semaine en chaque sens ; le trajet durait sur les premières sections trois jours en hiver, quatre en basses eaux ; entre