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Malgré l’appauvrissement général qu’amène la guerre de la ligue d’Augsbourg[1], et le désarroi où plusieurs villes, comme Tours et Saumur, se trouvèrent après le départ des riches familles de huguenots, l’intendant de la généralité d’Orléans, M, de Bouville, pouvait encore attribuer une très grande valeur à la navigation sur la Loire. Dans un mémoire qu’il écrivit en 1698 pour l’éducation du duc de Bourgogne, il énumère tous les produits qui circulent sur le fleuve, le gros du transit consistant en vins d’Orléanais, Anjou et Touraine, en blés de Beauce, Bretagne, Poitou et Auvergne, en épiceries importées par Nantes et Marseille.

Un siècle plus tard, le médecin Beauvais de Préau nous montre en Orléans une ville très industrielle et, grâce à la Loire, très commerçante.

En 1787, dans une séance de l’Assemblée provinciale de l’Orléanais, on lut un mémoire sur le commerce de la province ; aucun mécontentement ne s’y fait voir ; on se félicite toujours de l’heureuse situation de la ville sur son fleuve.

La même année un observateur exact, et dont la France essuya maintes fois la critique, Arthur Young, arrive à Orléans « où on fait beaucoup de commerce. » Il a bien constaté autre part des grèves, des bancs de cailloux, mais ne paraît guère y voir un obstacle à la navigation. D’Orléans même il dit : « On y voit amarrés aux quais beaucoup de barges et de bateaux construits sur la rivière, dans le Bourbonnais, etc. Chargés de bois, d’eau-de-vie et d’autres marchandises, ils sont démembrés à leur arrivée à Nantes et vendus avec la cargaison. Le plus grand nombre est en sapin. Entre Nantes et Orléans, il y a un service de bateaux, partant quand il se trouve six voyageurs à un louis par tête ; on couche à terre ; le trajet dure quatre jours et demi. »

Les marchandises n’employaient donc pas seules la voie de la Loire, mais aussi les voyageurs. Nombre de nos écrivains en ont laissé le souvenir. C’est Scarron qui, dans son Roman comique (1651), raconte un débarquement plaisanta Orléans, où les voyageurs sont harcelés par une bande de faquins, qui se ruent sur eux, leur arrachent leurs colis, se mettant à plusieurs pour le moindre. On croirait lire le récit d’un débarquement dans un port du Levant.

  1. La population aurait diminué dans les généralités de Tours et d’Orléans de 1/5 à ¼. Tours aurait été réduit de 2 000 métiers à soie à 1 200 ; de 700 moulins à dévider à 70 ; de 40 000 ouvriers à 4 000.