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LE DÉSASTRE.

la mise à l’écart de son indispensable collaborateur, le général Jarras, la lenteur des ordres, tardifs et insuffisans, les ponts non détruits, l’emploi d’une seule route quand il s’en offrait quatre, le licenciement du train auxiliaire qui portait les vivres ; puis, sitôt débarrassé de l’Empereur, cet incompréhensible arrêt, le 16 août, après le glorieux combat de Rezonville. Ensuite le retour sous Metz, que ne justifiaient ni l’état des vivres ni celui des munitions, la façon honteuse dont il avait laissé écraser Canrobert, le 18, malgré ses appels pressans et réitérés. Il avait trompé l’Empereur en alléguant le manque de vivres pour ne pas reprendre sa marche, en laissant croire, le 19, qu’il allait gagner Montmédy, — ce qui avait déterminé Mac-Mahon à lui porter secours, enfin en annonçant au ministre de la guerre, le 26 août, qu’il ne pouvait forcer les lignes ennemies, tandis qu’il assurait à Mac-Mahon qu’il percerait quand il voudrait !

Une fois rentré dans le camp retranché, — s’il était décidé à n’en pas sortir, quelles mesures avait-il prises pour approvisionner son armée ? Aucune. Les ressources des environs de Metz, il ne les avait pas fait rentrer. Et celles qui existaient, il les avait dilapidées en ne rationnant pas immédiatement l’armée et la ville, en laissant les soldats gaspiller les denrées et le pain, en donnant aux chevaux le blé ou le seigle qui eussent nourri les hommes. Mais peut-être avait-il compté sortir ? La conférence de Grimont n’était alors qu’une comédie, il avait trompé ses lieutenans : non content de leur cacher la marche de l’armée de Châlons, qu’une dépêche lui avait apprise, il s’était bien gardé de leur communiquer ses propres dépêches à l’Empereur, au ministre, au maréchal. Il avait, sachant les approvisionnemens reconstitués, laissé Soleille affirmer qu’il n’y avait plus de munitions que pour une bataille. Et pourquoi n’avait-il pas percé à Noisseville, le 31 août et le 1er  septembre ? Depuis Sedan, qu’avait-il fait, sinon d’entamer des ouvertures avec l’ennemi : les renseignemens demandés au prince Frédéric-Charles, Régnier pris pour confident, Bourbaki se rendant librement à Hastings, Boyer envoyé à Bismarck, puis à l’Impératrice ?

Jusqu’au bout, il avait trompé le Conseil. Le 10 octobre, il avait tu ses pourparlers, l’incident Régnier, les motifs du départ de Bourbaki, les dépôts de vivres de Thionville et de Longwy ! Les négociations que le Conseil était d’avis d’engager, il n’avouait pas les avoir déjà tentées lui-même sans succès ! Le 18, il interceptait