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« Mais l’ensablement de la baie de la Loire, l’attribuez-vous donc à la mer ? » dit-on avec ironie. Eh oui. L’estuaire proprement dit ne s’est ensablé que depuis le XVIIIe siècle, depuis la construction des digues malencontreuses. L’homme est donc la cause, et non le fleuve. Quant à la baie, les études minutieuses faites pour l’amélioration de la barre, durant ces dernières années, ont établi deux points : la barre se compose presque uniquement des roches des rivages et des îlots environnans ; elle s’est renforcée quand la mer y a rejeté les débris d’un haut-fond voisin, qu’elle a détruit en cinquante ans.

La Loire n’a donc pas ensablé son embouchure. Il est d’ailleurs facile de voir qu’entre Orléans et Nantes son lit ne s’est pas exhaussé depuis les temps historiques : à de nombreux endroits la roche affleure, et dans les années sèches on voit les fondations des ouvrages faits il y a plusieurs siècles. On ne constate jamais, il est vrai, de dépôts aux points de résistance et de resserrement ; mais il s’en forme toujours un ensuite. Or, après ces affleuremens de roches, ces ouvrages anciens, on ne trouve pas de ces ensablemens caractéristiques. Bien plus, pour beaucoup de bancs, d’îles, on sait, comme à Nantes, l’obstacle qui les a déterminés, barrage, moulin ou établissement de pêche.

L’étude des graviers est un nouvel argument : roulés longtemps, ils seraient ronds et polis ; on en trouve beaucoup au contraire qui, plats sur le dessus, sont rugueux en dessous ; c’est donc qu’ils demeurent en place et ne sont usés que du côté où passent les sables. Parfois, après une crue, on en voit de gros sur les grèves : elle les a mis à nu et non apportés ; ces crues les font, tourbillonner sur place. Les sables fins déjà ne parcourent pas plus de cent mètres en vingt-quatre heures[1], même avec des crues hautes de quatre mètres. Comment les graviers parcourraient-ils de grands espaces, puisque les crues ne durent guère que quatre à cinq jours ?

Concluons donc : les dépôts qui encombrent le lit du fleuve sont anciens et issus du Massif central. De nos jours, il n’érode ses rives que dans son cours supérieur, et charrie peu. Quant au sable, il devient si fin qu’à Nantes il reste en suspension. L’ensablement est donc bien moins à craindre que le manque d’eau.

  1. Leur vitesse de marche est en moyenne de 2m,24 en été, 9 mètres en hiver. On cite des bancs qui n’ont avancé que de 500 mètres en trois ans, comme à Mauves.