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que l’on souffre du manque d’eau, incroyable sur un si grand fleuve quand on voit la Garonne rouler au moins 36 mètres à Toulouse, la Seine 48 à Paris. C’est le vrai mal dont souffre la Loire ; c’est à le corriger qu’on doit s’appliquer.

Les deux autres fléaux naturels sont les crues et les sables ; le dernier, le plus difficile à repousser, c’est l’homme ; nous verrons pourquoi.

Les crues dépassent tout ce que notre douce Seine peut nous faire imaginer en nombre et en intensité. En cent cinquante ans, sans remonter au delà du XVIIIe siècle, on en signale de violentes en 1706, 1710, 1711, 1719, 1726, 1733, 1755, 1765, 1782, 1789, 1790, 1804, 1807, 1810, 1820, 1823, 1825, 1826, 1836, 1840, 1843, 1846, 1856. Quelle accumulation de désastres en si peu de temps ! Quel admirable courage pour les réparer ! Et quel entêtement à lutter contre une force invincible !

Les crues ne sont pas toutes funestes. Rarement celles d’amont coïncident avec celles d’aval. Mais quelques-unes sont générales, comme en 1856 et 1866. La première fut la plus terrible : le fleuve monta, en juin, de 5m,18 à Digoin, de 7m,43 à Orléans, de 7m,23 à Blois, de 7m,52 à Tours, de 7m,07 à Saumur, de (m,94 à Nantes ; on calcule que la Loire (en amont du Bec d’Allier) débita pendant cette crue 1 342 000 000 de mètres cubes ; l’Allier : 1 205 700 000 ; le Cher 519 000 000 ; l’Indre 95 000 000 ; la Vienne 654 500 000. Cette crue détruisit les digues sur plus de 23 kilomètres en 160 brèches ; il fallut 8 millions pour les reconstruire. Elle creusa 410 hectares de gouffres, ensabla 2 750 hectares, renversa 300 maisons, submergea 98 kilomètres de voies ferrées, arrêta la circulation pendant plus d’un mois (à cause des réparations) dans le val d’Anjou, coupa huit ponts et coûta environ 30 millions.

Heureusement les crues des affluens ne coïncident que rarement ; l’Allier devance la Loire de trois à six heures, parfois même d’un jour, le Cher est en avance de dix à seize heures, la Vienne de 70 à 100, Selon qu’ils entrent en jeu, le résultat diffère : le rapport entre les hauteurs de crue à Nantes et à Saumur descend à 0,89 si la Maine reste neutre ; sinon il s’élève à 1,10. En 1872 Cher et Vienne réunis faisaient passer la crue de 1 689 millions de mètres cubes à 3 225 millions. Selon ces diverses influences le débit et la vitesse varient beaucoup. Le maximum de la crue descend, avec une vitesse qui peut atteindre 5 kilomètres