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On ne saurait trop craindre de prendre ses désirs pour des certitudes. Avant de décider du sort de la Loire, il faut connaître le mal dont elle souffre, et le révéler en entier, dût-on perdre tout espoir de la guérir. Son état lamentable peut s’expliquer par bien des raisons ; les plus graves sont géographiques, mais l’homme, ici, n’est pas moins à accuser que la nature ; nous verrons plus loin ses fautes.


I

La Loire est le plus long de nos fleuves (1 000 kilomètres environ) et coule en entier sur notre territoire. Elle naît près du Rhône, le longe longtemps ainsi que la Saône, et ne quitte cette direction que pour se rapprocher d’une autre vallée, celle de la Seine, qu’elle paraît vouloir atteindre. Dans ses immenses détours, elle se gonfle de pluies venues de la Méditerranée, du golfe de Gascogne et de la Manche, drainant à elle seule presque un quart de la France. Admirable fleuve, à ne regarder que la carte ; cours d’eau inutile, dangereux même, si on le voit lui-même.

La Loire naît trop haut et trop bas à la fois : trop haut, parce que ses eaux tombent de leurs sources avec trop de violence ; trop bas, parce qu’à cette hauteur et cette latitude, les montagnes ne se revêtent pas de glaciers, ces réservoirs providentiels pour les chaleurs de l’été.

Encore n’y aurait-il que demi-mal si, en naissant, la Loire serpentait sur un plateau en perdant de sa fougue. Point. Dévalant follement les côtes du Velay, elle descend d’abord de 23 mètres par kilomètre, cent fois plus vite que la Seine, entre l’Aube et l’Yonne. Sa pente est encore de 1m,04 dans la plaine du Forez, et même de 1m,16 dans les gorges de Pinay ; la Loire est pourtant là à 230 kilomètres et à 1 000 mètres au-dessous de sa source. Une fois sorti du massif porphyrique qui sépare la plaine forézienne de Roanne, le fleuve coule en plaine, mais toujours trop vite ; il tombe à 200 mètres vers Bourbon-Lancy, à 100 entre Jargeau et Orléans[1], à 75 entre Beaugency et Blois (un peu

  1. L’altitude de 100 mètres se trouve sur la Loire à 398 kilomètres de la mer ; sur le Rhône, à 215 ; sur la Garonne, à 360 ; sur la Weser, à 399 ; ce sont des fleuves à pente rapide. Qu’on leur compare les cours d’eau bien navigables : sur l’Oder cette altitude de 100 mètres est à 524 kilomètres de la mer ; sur la Seine, à 556 ; sur le Rhin, à 621 ; sur l’Elbe, à 662, et sur le Danube à 1725 !