Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
REVUE DES DEUX MONDES.

sentait à aller demander au prince Frédéric-Charles les conditions suivantes : Neutralisation de l’armée sur place et armistice de ravitaillement ; offre de faire appel aux députés et aux pouvoirs en exercice lors de la constitution de mai 1870, pour traiter de la paix. Si ce premier article n’était pas accepté, demander l’internement sur un point du territoire pour y remplir la même mission d’ordre ; sinon, obtenir, dans les clauses d’une capitulation pour manque de vivres, l’envoi de l’armée en Algérie.

— Non, fit Du Breuil, se bercer encore d’espoirs politiques en un pareil moment, cela dépasse toute imagination !

Les opinions des commandans en chef étaient sévèrement discutées. Seuls, Desvaux, Lebœuf et Coffinières avaient réclamé une sortie désespérée. La Garde, avait dit Desvaux, suivrait ses généraux et ses officiers. Mais tous les autres s’étaient élevés contre une sortie partielle ; Ladmirault, prêt d’ailleurs à obéir, entrevoyait le plus grand désastre, Frossard et Soleille confirmaient ses dires ; la cavalerie était à pied, l’artillerie ne pouvait être traînée. Toutes directions de sortie avaient été reconnues impraticables. Plus de pain, la viande allait manquer. Il ne restait qu’à traiter.

Du Breuil passa une nuit funèbre. En vain appelait-il le sommeil ; mille pensées ardentes, furieuses, taons dévorans, le dévorèrent. Les ténèbres l’étouffaient. En dépit du froid, de l’humidité des murs, il haletait, le sang aux tempes ; il ralluma sa bougie. Où était-il ? Pourquoi était-il là ? Jamais l’horreur de la situation ne lui était apparue à ce point saisissante.

Voilà donc où d’heure en heure, de minute en minute, par nonchalance, par inertie, au leurre des pourparlers incertains, on en était arrivé… La capitulation !… Malgré les éclairs qui lui avaient, en certains momens de lucidité, dévoilé la pente ténébreuse, il n’avait jamais sondé la profondeur du gouffre. Toutes les protestations de sa conscience indignée se firent alors jour. Ses révoltes contenues s’ameutèrent contre le chef qui, par son imprévoyance, son incurie, son incapacité, avait préparé le désastre qu’achevaient aujourd’hui son égoïsme et son ambition. Il revécut ces trois mois, toutes ces heures dont aucune n’avait été sans souffrance. Les fautes, inconscientes ou voulues, du maréchal l’obsédaient.

C’étaient, au moment de la retraite sur Verdun, le 14 août,