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morale, le besoin du grand et du sublime ; Vigny, la profondeur, la tendresse, la force dans la douceur ; Musset, le charme, la vie, le pétillement de l’esprit ; Michelet ou George Sand, la flamme, l’éloquence, la spiritualité intense et inassouvie. Combien d’autres, parmi ceux qu’on est convenu de placer au second plan, — parmi ceux qui ont plus imaginé que pensé et pour qui la pensée a été, suivant le joli mot de Gautier, « le pis aller d’un poète aux abois » ; — combien de ceux-là ont été du moins des artistes consciencieux, et des fervens de la forme, — c’est-à-dire de véritables écrivains français ! « J’appelle, disait Goethe, le classique le sain, et le romantique le malade. « En Allemagne, il se peut. En France, la maladie romantique n’a pas entamé, même aux heures de crise, l’inébranlable santé de la race.

Cela dit, n’avons-nous rien dû, dans cette profonde transformation de notre littérature, aux œuvres étrangères, et particulièrement allemandes ? Dans cette fournaise d’où est sorti le bronze romantique, n’a-t-on jamais jeté de métal venu d’au delà du Rhin ? Un examen impartial ne permet pas de le croire.

Assurément, il ne faut pas exagérer l’influence de l’Allemagne sur le romantisme français. D’une façon générale, les romantiques eux-mêmes se reconnaissent un peu trop volontiers redevables envers l’étranger. Ils ont l’hospitalité généreuse, mais parfois imprudente. Ils prennent de toutes mains et proclament qu’ils ont accepté plus encore qu’ils n’ont reçu. C’est un défaut très français d’avouer des dettes qu’on n’a pas. Et c’en est un autre que de prendre feu pour des hommes ou des œuvres qu’on ne connaît pas, ou qu’on connaît mal. « Une démence française, disait Heine aux imitateurs de Hoffmann, est loin d’être aussi folle qu’une démence allemande, car dans celle-ci, comme eût dit Polonius, il y a de la méthode. » Mais, s’il y a moins de méthode dans une « démence » française, peut-être y a-t-il aussi plus de légèreté, plus d’imprévoyance, plus de naïf et imprudent abandon aux fantasmagories de l’imagination.

Mais, à côté des excès de la germanomanie romantique, il y a l’influence réelle que la littérature allemande a exercée sur nous, influence qu’il ne faut pas nier, mais simplement préciser et restreindre.

Si l’on distingue, dans le développement du romantisme français, une période décroissance, antérieure à 1830, et une période de maturité, postérieure à cette date, on peut admettre que l’influence