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d’une essence rare et supérieure, — sont sans doute pour quelque chose dans la genèse de Notre-Dame de Paris ou de la Peau de chagrin. À coup sûr, — et pour ne rien dire de Nerval ou de Janin, — George Sand a proclamé hautement sa dette, dans le Secrétaire intime envers l’auteur de Mademoiselle Scudérry, dans la Nuit de Noël envers celui de Meister Floh.

« Ce Théodore Hoffmann, Hoffmann le fantastique », — ainsi l’appelle Théophile Gautier, — s’il n’est un écrivain français, reste, du moins, un écrivain francisé.


IV

« Mon ami —, dit un jour Dupuis à Cotonet, après qu’ils eurent longtemps discuté de la véritable définition du romantisme, — je crois que voilà notre affaire : le romantisme, c’est la poésie allemande. » Et Cotonet d’accumuler les objections : les Allemands aiment les ballades : ne les aimons-nous pas ? — ils ont la manie du fantastique : elle sévit également chez nous ; — ils écrivent des romans larmoyans avec des phrases longues d’une aune ; nous en écrivons, hélas ! « Quand nous aurons tout imité, copié, plagié, traduit et compilé, qu’y a-t-il là de romantique ? » Et le critique de la Ferté-sous-Jouarre conclut sentencieusement : « La France n’est ni anglaise ni allemande, pas plus qu’elle n’est grecque ni romaine. »

Cotonet est un sage. Le romantisme en France est français. Même quand il emprunte, il transforme ses emprunts. Jusque dans les plus grandes audaces de l’école, on retrouve, — c’est l’un des adaptateurs français de Schiller qui le notait justement, — « un goût d’ordre, de règles et de limites », marque indélébile de l’esprit national. Peu de générations, au surplus, ont plus profondément aimé la France que la génération des Thierry et des Michelet, et c’est une création romantique que l’histoire vivante de notre pays. Aucune n’a exprimé plus complètement la plus noble de nos qualités nationales et n’a fait par là plus d’honneur à la France, « cette nation douce et bienveillante, comme disait Rousseau, que tous haïssent et qui n’en hait aucune. » Des grands hommes qu’elle a produits, chacun représente une des qualités souveraines de l’esprit français : Hugo, la netteté et l’intensité de l’imagination, la composition savante de l’œuvre d’art, le goût passionné des idées générales ; Lamartine, la parfaite sincérité, l’harmonie