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à quelques-unes des créations du maître, — et il pleure sur la tombe du conteur, et il va voir la cave où il a évoqué tant de figures tristes et bouffonnes, la cave où se vident encore nombre de bouteilles de Rudesheim en souvenir du poète...

Peu de livres ont eu plus de succès chez nous que les Contes d’Hoffmann. La traduction de Loève-Veimars, illustrée par Tony Johannot, fut, quand elle parut en livraisons, de 1829 à 1833, une des plus fructueuses publications de Renduel, — et deux autres traducteurs, Toussenel et Marmier, n’ont pas épuisé la veine. « Ces contes, écrivait George Sand, ont ravi notre jeunesse, et nous ne les relisons jamais sans être transportés dans une région d’enivrante poésie. » Sainte-Beuve loue Hoffmann d’avoir dégagé « le magnétisme en poésie » et discerné « tout un revers imprévu des perspectives naturelles et des destinées humaines. » Théophile Gautier enfin ne peut assez admirer la puissance de peinture et l’observation profonde de l’auteur du Majorat et du Violon de Crémone.

Ces trois jugemens résument assez bien l’influence que Hoffmann a exercée chez nous. On y a goûté simultanément la poésie, le don d’observation, le fantastique. Et peut-être est-ce ce dernier élément qui a le plus frappé une génération sur qui l’étrange et le surnaturel exerçaient une invincible fascination. A voir le sérieux avec lequel un Hugo loue « l’imagination moderne » de « faire rôder hideusement dans nos cimetières » les « goules » et les « brucolaques », on comprend l’enthousiasme que durent éprouver les lecteurs du Vampire et de Don Juan. Nul ouvrage, au témoignage du Globe, n’a mieux réalisé le mélange du bizarre et du vrai, du monstrueux et du burlesque ; aucun ne saisit et ne « trouble » davantage : aucun surtout n’apporte une plus précieuse démonstration à l’un des principaux articles de foi du credo romantique. « Génie extravagant et fumeux », Hoffmann a exercé la plus profonde influence sur tous ceux qui ont cru — et ils sont légion entre 1820 et 1840 — que le singulier et l’exceptionnel doivent tenir une grande place dans l’art nouveau. Non seulement il a aidé les Paillasse et les Quasi modo à étonner le parterre et à faire la nique au bourgeois. Non seulement il a mis, — et pour longtemps, — le diable à la mode en France, et inspiré Smarra ou les démons de la nuit à Nodier, Une larme du diable à Alphonse Karr, ou les Mémoires du diable à Frédéric Soulié. Mais les meilleures parties de son génie, — qui sont vraiment