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du maître. Philarète Chasles traduisit Titan, le marquis de Lagrange publia un recueil de Pensées de Jean-Paul ; Nodier fut l’un des fervens de l’auteur de Siebenkäs, et Alfred de Musset, rendant compte du recueil de Lagrange, écrivait en termes significatifs : « Qui est plus grotesque, trivial, cynique qu’Hoffmann et Jean-Paul ? Mais qui porte plus qu’eux dans le fond de leur âme l’exquis sentiment du beau, du noble, de l’idéal ? »

Mieux que Jean-Paul, — qui n’exerça qu’une influence discrète sur un cercle d’initiés, — l’auteur des Contes fantastiques réalisa cet idéal pour le public français.

Et d’abord, ce qu’on savait de sa personne, par ses biographes, piquait la curiosité. Cet homme étrange, dont la vie s’était écoulée entre l’alcool et le rêve, semblait le digne fils de cette Allemagne qu’un critique a appelée la patrie des hallucinations. Mieux que tout autre, son inquiet génie répondait à l’idée que se faisaient les Nerval, les Mürger, les Musset même, de l’inspiration poétique. Comme Musset, et avant lui, Hoffmann avait trouvé l’art dangereux de « verser, comme il le dit, quelques spiritueux sur la roue intérieure de l’imagination. » Comme Baudelaire, et avant lui, — mais aussi avant Gautier et Sainte-Beuve, — il avait cherché à noter en poésie les sensations rares et disparates, et le parfum de l’œillet rouge lui faisait entendre, disait-il, le son du cor. Personne enfin n’avait mieux réalisé l’idéal du poète purement sensitif, de celui qui passe sa vie dans une perpétuelle oscillation de l’ironie au mysticisme, du sarcasme au baquet de Mesmer. Personne n’avait espéré plus fermement — si ce n’est peut-être l’Anglais Coleridge — arriver, en se grisant de rêves, à ce qu’il appelait ambitieusement « la connaissance profonde, complète de l’être. »

C’est à la recherche de cet Hoffmann étrange et charmant que partait, en 1833, Xavier Marmier, en un voyage qui ressemblait à un pèlerinage. « Qui nous rendra, écrivait-il ici même, cette joie subite, cette impression singulière que nous éprouvâmes, lorsque pour la première fois HofFmann nous apparut, avec ses étranges rêveries, sa pipe et son idéal, ses élans de poésie et son chat Murr ? »... A Leipzig, Marmier se fait montrer la maison où Hoffmann a vécu pauvre et soucieux. A Dresde, il retrouve son souvenir au théâtre où Hoffmann a été régisseur et chef d’orchestre. A Berlin, il rend visite à l’ami Hitzig, qui lui montre deux jeunes filles, deux « sœurs aux yeux noirs », qui ont servi de type