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Tous ceux qui, depuis lors, ont écrit en France des vers philosophiques, doivent, — qu’ils le sachent ou non, — quelque chose à l’auteur de Faust.

Mais avouons-le. Ce n’est pas la portée philosophique du livre que nous en avons saisie d’abord, et peut-être avons-nous été plus frappés, à la première lecture, par certains côtés extérieurs que par la substance même de l’œuvre. Hugo, dédaigneux de la philosophie de Gœthe, proclamait qu’on loue à tort celui-ci « pour son impassibilité, qui est infériorité. » Mais il le citait volontiers comme un exemple à l’appui de sa propre théorie du grotesque dans l’art. Tranchons le mot : l’un des grands mérites du Faust, ç’a été, aux yeux de beaucoup de romantiques, son affinité avec le génie d’un Jean-Paul ou d’un Hoffmann.

« Dans la pensée des modernes, lisait-on dans la préface de Cromwell, le grotesque a un rôle immense... C’est lui qui fait tourner dans l’ombre la ronde effrayante du sabbat, lui encore qui donne à Satan les cornes, les pieds de bouc, les ailes de chauve-souris... » Si au sabbat, aux cornes de Satan, à ses pieds et à ses ailes nous ajoutons les vampires, les ogres, les psylles, les goules et les aspioles, peut-être serons-nous tentés d’admettre avec Victor Hugo que le grotesque se joue avec prédilection « dans les rêves des nations tudesques. » Certainement, il ne leur appartient pas en propre ; mais qui niera que la vieille Allemagne ne soit comme un lieu d’élection pour cet élément essentiel de l’art moderne ? Et qui contestera que le Faust de Gœthe, avec le Brocken, les sorcières et le sabbat, ou les Contes fantastiques d’Hoffmann, avec le diable, les hantises et les vampires, ne soient d’excellens modèles de littérature fantastique ? Non, vraiment, il n’y a pas de domaine de l’art où le « grotesque » cher à Hugo s’épanouisse plus librement que le genre fantastique et humoristique, où ont excellé quelques écrivains allemands.

L’un des maîtres de l’humour, ce Jean-Paul dont Mme de Staël avait traduit Le Songe, ne réussit jamais à se naturaliser tout à fait parmi nous. Cependant, il eut ses dévots. Charles de Villers affirmait, dans une étude du Conservateur, que Jean-Paul unit en lui Platon, Dante et Sterne. Edgar Quinet, à Heidelberg, s’éprenait de ce génie si original et le comparait successivement à Voltaire, Byron, Ossian et Bernardin de Saint-Pierre, sans réussir à embrasser dans une formule son esprit singulier. Des comparaisons ne prouvent rien. Loève-Veimars donna quelques fragmens