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quels livres ouvre-t-il ? La Nouvelle Héloïse et Werther. Et Lamartine, qui n’a guère souffert par les livres, ne s’en cache pas : « Werther a été une maladie mentale de mon adolescence poétique. » Aucune œuvre n’a été plus familière à toute cette génération, et, s’il y a du Chateaubriand, il y a du Gœthe aussi dans Valérie, dans Joseph Delorme, dans Raphaël, dans Chatterton, dans la Confession d’un enfant du siècle. A l’exception de Victor Hugo, — et encore faudrait-il sans doute nommer ici Didier ou Hernani, — il n’y a guère d’écrivain de ce temps qui n’ait dans les veines une goutte du sang de l’amant de Charlotte. J.-J. Ampère avait beau traiter de démodées, en 1833, les traductions et adaptations du chef-d’œuvre. On s’obstinait toujours à y chercher l’une des peintures les plus vraies qui aient été faites de la tristesse la plus sincère, non de la tristesse fastueuse et aristocratique d’un René, mais de la tristesse d’une âme du commun, l’âme du bourgeois Werther, notre frère à tous...

Nous avons dû peu de chose aux autres romans de Gœthe, quoiqu’on les ait assez lus chez nous. Nous y avons vainement cherché la belle spontanéité et la sincérité savoureuse de Werther. « C’est un étrange livre, écrivait Mérimée à l’inconnue au sujet de Wilhelm Meister, où les plus belles choses du monde alternent avec les enfantillages les plus ridicules. Dans tout ce qu’a fait Gœthe, il y a un mélange de génie et de niaiserie allemande des plus singuliers. » — Et c’est bien, avec le reproche de froideur, l’objection qu’a généralement faite l’opinion française au romancier de Wilhelm Meister et des Affinités électives. — Au fond, elle ne pardonnait pas à Gœthe de se présenter à elle sous un jour si différent et si nouveau, et elle s’obstinait à aimer en lui l’homme qui avait su faire, suivant l’expression de Mme de Staël, le plus admirable tableau des « maladies de l’imagination de notre siècle. »

C’est le même homme qu’elle a cru retrouver et qu’elle s’est obstinée à admirer dans Faust.

Si on en croyait M. George Brandes, la France aurait été le seul pays d’Europe à ne rien comprendre à Faust : « La puissante figure du héros, écrit-il, est entièrement incomprise des Français. » Si M. Brandes entendait parler des contemporains français du Faust, nous serions tout disposés à lui donner raison. Il faut citer ici, ne fût-ce que pour mémoire, cette opinion d’une des plus pénétrantes intelligences de notre siècle, de Benjamin Constant : « C’est, disait-il de Faust, une dérision de l’espèce humaine et de tous