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élevée ses formes extérieures : le dialogue pittoresque, les scènes multipliées, les tirades sentimentales, l’adroite mise en scène des grands faits historiques. Dans Henri III et sa cour comme dans Wallenstein, — et certainement à l’imitation de Wallenstein, — il y a des dialogues de courtisans, de soldats, des astrologues, des assassins gagés, et tout un art de découper l’histoire en tableautins et en anecdotes. Je ne suis pas convaincu que Lorenzaccio ne doive rien à la Conjuration de Fiesque, et je crois avec l’auteur d’un livre récent sur le Drame romantique[1] que Victor Hugo n’a eu, pour formuler son propre idéal au théâtre, qu’à remanier Shakspeare par Schiller. Schiller, disait Théophile Gautier, c’est « Shakspeare corrigé et refroidi. » C’est Shakspeare accommodé au goût de la France de 1830.

Mais c’est autre chose encore que les romantiques y ont entrevu et qu’ils ont beaucoup goûté, sans toujours s’en rendre compte. « Le talent de Schiller, dit encore Théophile Gautier, est un produit singulier de la manière de Shakspeare et de la philosophie du XVIIIe siècle. » Plus exactement, c’est du drame politique et lyrique, du drame où le premier personnage, le plus important à la fois et le plus sympathique, c’est l’auteur lui-même, et c’est ce dont on lui a su le plus de gré chez nous. Libre à Stendhal de railler « ses tirades de vingt-quatre vers » : car il y a, dans Hernani ou dans Cromwell, telle tirade qui en a deux ou trois cents. Libre à quelques autres de dénoncer ce que Barbey d’Aurevilly appellera « son odieuse philanthropaillerie » : est-ce que les Ruy Blas ou les Lucrèce Borgia ne prétendent pas s’adresser au peuple, remuer les foules, semer des idées et des théories sociales ? Rien au fond ne s’harmonisait mieux avec l’esprit même du romantisme français que ces drames pathétiques, mieux construits que ceux de Shakspeare, dont ils procèdent, conciliant dans une forme admirable les audaces nécessaires avec le souci de logique et de clarté que leur auteur avait emprunté à nos classiques, mais par-dessus tout lyriques et oratoires, c’est-à-dire donnant leur pleine satisfaction à tous les sentimens nouveaux qui s’agitaient dans les esprits et leur permet- tant d’exprimer en tirades éloquentes des aspirations ardentes, généreuses et vagues.

Aux plus exaltés d’entre eux Schiller paraissait seulement

  1. P. Nebout, Le drame romantique (Lecène et Oudin. 1897).