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de Byron dans Marino Faliero, de Walter Scott dans Louis XI, de Shakspeare dans les Enfants d’Edouard, Casimir Delavigne n’a pas dédaigné de s’inspirer de Kotzebue pour son École des vieillards ; et Dumas père, qui a plagié un peu tout le monde, n’a négligé ni Iffland dans les Gardes forestiers, ni Kotzebue dans la Conscience, ni Schiller dans Christine ou dans Intrigue et Amour. Quand on étudiera de près les sources du drame romantique, — comme on étudie celles de la tragédie classique, — on sera surpris du nombre et de l’étendue des emprunts. Mais on sera mal fondé à en tirer trop de conséquences. Car, — outre que le théâtre de Casimir Delavigne ou de Dumas père n’aura guère plus, dans un siècle ou deux, que la valeur d’un document, c’est-à-dire d’une chose morte, — plagiat ne signifie pas toujours influence, et j’avoue ne pas voir ce que Kotzebue, Iffland ou même Lessing ont apporté de neuf au drame romantique. Pour toucher ici du doigt notre dette envers l’Allemagne, il n’est besoin que de retenir les noms de Goethe, de Schiller et de Werner.

Guillaume Schlegel reproche quelque part à nos auteurs dramatiques de ne pas mettre dans leurs pièces asse ? de ces momens où l’âme « se recueille au dedans d’elle-même et jette un regard mélancolique sur le passé et sur l’avenir », ce qui revient à dire que le théâtre français n’est pas assez ce que le théâtre allemand est peut-être trop, je veux dire lyrique. Il me semble que Goethe, mais plus encore Schiller et Werner, nous ont principalement, aidés à mettre plus de lyrisme dans le drame.

Pour ne rien dire ici des drames de Goethe, qui, trop lents et trop pleins d’idées, n’ont exercé qu’une influence secondaire, nos romantiques se trouvaient fort à l’aise avec Schiller, dont d’innombrables traductions et imitations avaient popularisé le nom en France depuis la Révolution. Depuis Marie-Joseph Chénier jusqu’à Soumet, et depuis Sébastien Mercier jusqu’à Lebrun, combien d’adaptations de Don Carlos, de Wallenstein, de Jeanne d’Arc ou de Marie Stuart ! En 1828, le Globe annonce pour une seule année six Guillaume Tell, et l’on sait les orages que soulevèrent la Marie Stuart de Lebrun et la Jeanne d’Arc de Soumet. Tous les semi-romantiques qui ont frayé la voie à Hernani et à Henri III ont vécu du théâtre de Schiller. Tous ont essayé, suivant l’expression si noble de Lebrun, « un rapprochement entre la Melpomène étrangère et la nôtre. » Tous ont emprunté avec plus ou moins de succès à ce théâtre de haute ambition et d’inspiration