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là un trait fâcheux, mais c’est un trait manifeste de l’influence allemande. Le Cours de littérature dramatique, professé en 1808 à Vienne, traduit en 1814 par Mme Necker de Saussure, avait été une exagération scandaleuse de certaines des préventions de Mme de Staël. Et ce livre, d’ailleurs si savant et si riche d’informations nouvelles sur le théâtre grec, espagnol, anglais, fut surtout remarqué par les attaques violentes qu’il renfermait contre nos tragiques et contre Molière. Gœthe eut beau se révolter contre l’acrimonie maladive d’un critique pour qui « la nature foncièrement saine de Molière est une vraie épine dans l’œil. » Je ne suis pas bien sûr que certains critiques romantiques, — tout en reprochant à l’auteur son pédantisme et ses préjugés, — n’aient puisé dans son livre quelques-unes des armes qu’ils ont tournées contre Corneille ou contre Racine.

Mme de Staël avait longuement parlé, en dix des chapitres les plus nourris de son Allemagne, du théâtre allemand. Schlegel avait fait ressortir les affinités de ce théâtre avec le théâtre grec, anglais et espagnol. Restait à en mettre les principales œuvres à la portée du public français. C’est ce que firent, — pour ne rien dire du malencontreux Walstein de Benjamin Constant, publié en 1809, — Barante en traduisant le théâtre de Schiller (1821) et le libraire Ladvocat en consacrant aux poètes dramatiques allemands six des volumes de ses Chefs-d’œuvre des théâtres étrangers. Schiller, Gœthe à peu près en entier ; quelques drames de Kotzebue ; quelques œuvres de Lessing ; deux drames de Werner, Luther et le 24 Février ; enfin l’insignifiante Expiation de Müllner, — c’est l’essentiel de ce que les romantiques ont connu du théâtre allemand.


Vous retournez Schiller, vous retapez Shakspeare.
S’ils pouvaient revenir, hélas ! des sombres bords,
Ils s’écrieraient au voleur ! Vous détroussez des morts,
Malheureux ! et pour mieux déguiser leur dépouille.
Vous mettez hardiment du vernis sur la rouille !...


Non, en vérité, les auteurs de Cornaro, tyran pas doux, parodie en quatre actes et en vers d’Angelo, tyran de Padoue, n’ont que très légèrement exagéré la vérité. Si l’on excepte Victor Hugo et Vigny, rarement vit-on plus grands plagiaires que les dramaturges romantiques, et le recueil que nous venons de citer est l’un de ceux où ils ont fourragé le plus volontiers. Imitateur