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les plus naturelles, de l’historien littéraire, que de vouloir rétablir après coup dans la filiation des œuvres et des idées une logique qui, historiquement, ne s’y trouve pas. Oui, Diderot avait esquissé, dans ses grandes lignes, la théorie du drame romantique ; mais on peut faire cette objection à ceux qui voudraient rattacher aux théories de Diderot le drame de Victor Hugo ou de Dumas père : c’est que les romantiques ont ignoré Diderot. Oui, sans doute, dès le XVIIIe siècle, Nivelle de La Chaussée avait ébauché la moderne comédie de mœurs ; mais ceux qui, entre 1850 et 1860, ont créé la comédie moderne, les Augier ou les Dumas fils, n’ont jamais lu La Chaussée, et ne lui doivent absolument rien. Et, pour en revenir au théâtre romantique, il est bien vrai que ce théâtre existait, à l’état diffus, dans les premières années du XVIIe siècle et que les romantiques auraient pu puiser à pleines mains dans Hardy, dans Mairet ou dans Jean de Schelandre ; mais le fait est qu’ils ne s’en sont pas souciés, et cela est capital. Toutes les théories les plus ingénieuses pour faire sortir leur théâtre de la pure lignée française échoueront contre cette simple constatation que leurs modèles avoués furent Shakspeare et Schiller ; et on ne fera pas que Dumas père, — dont il est difficile de récuser le témoignage, — n’ait écrit dans ses Souvenirs dramatiques : « La grande secousse littéraire qui avait renversé le vieil édifice dramatique avait été communiquée à la France par l’Allemagne et l’Angleterre. » Voilà qui est net. Assurément, ce n’a été qu’une secousse initiale. L’édifice vermoulu une fois à terre, nous en avons rebâti un par nos propres forces, qui est l’expression parfaite de notre génie national : comment, au surplus, pourrions-nous renoncer jamais à être nous-mêmes au théâtre, dans un genre où toute l’Europe nous accorde volontiers que nous sommes passés maîtres ? — Mais l’influence étrangère, pour avoir été efficace seulement au début, n’en est pas insignifiante pour cela, et, si la première place appartient ici de droit à Shakspeare, — « Shakspeare, c’est le drame », a dit Victor Hugo, — une place considérable encore doit être réservée au théâtre allemand. « Essayons Schiller et Gœthe, disait le Globe en 1829, ainsi que Shakspeare : ils peuvent faire les frais de notre éducation, » et Alfred de Musset, à dix-sept ans, rêvait d’être Shakspeare ou Schiller — ou rien.

Avant de lire Gœtz ou Egmont, nous avions, il faut le dire, lu Guillaume Schlegel, et il nous avait insufflé quelque chose de son inintelligence dédaigneuse de notre littérature classique. C’est