Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/619

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous avons vécu sur le livre De l’Allemagne. Le Globe lui-même, si curieux de l’étranger, n’a rien ou presque rien demandé à l’Allemagne contemporaine. Plus généralement, le romantisme français ne doit rien au romantisme allemand, parce qu’il l’a presque complètement ignoré.

C’est là, ce semble, le fait essentiel. Quand on se demande si les romantiques français ont connu la littérature allemande, il importe de se demander de quelle littérature on entend parler. On n’a pas de peine à prouver — et Heine s’est donné parfois ce facile plaisir — qu’ils n’ont rien su, ou peu s’en faut, de l’Allemagne de leur temps. Jusque sous la monarchie de Juillet, ils ont cru naïvement que toute l’Allemagne vivait encore de Gœthe, de Schiller, de Herder, voire de Klopstock. Ils n’ont beaucoup fréquenté ni Tieck, ni Novalis, ni Arnim, ni Clemens Bretano, ni tout le romantisme. Ils ont admis, avec Stendhal, que toute l’Allemagne de 1823 « frémissait et pleurait aux tragédies de l’immortel Schiller », de même qu’en parlant de l’Angleterre et des États-Unis, ils se figuraient volontiers « 20 millions d’hommes enivrés des sublimes beautés de Shakspeare ». — Qui eût soupçonné tant de candeur chez l’auteur de la Chartreuse de Parme ?

On peut se demander, à vrai dire, si les compatriotes de Victor Hugo ou d’Alfred de Musset se fussent jamais entendus avec leurs contemporains allemands. Je ne sais s’ils eussent fait, avec Frédéric Schlegel, d’un métaphysicien comme Fichte le grand théoricien du romantisme, ni s’ils eussent admis avec Novalis que « la distinction de la poésie et de la philosophie n’est qu’apparente, et à leur commun préjudice. » Ils étaient beaucoup plus curieux d’art et infiniment moins curieux de philosophie que les romantiques allemands. Mais le fait est qu’ils n’ont jamais cherché l’occasion de se comparer à leurs voisins. Tel a été le prestige des révélations faites par Mme de Staël, qu’elles ont suffi longtemps à la curiosité française. L’Allemagne des romantiques, c’est l’Allemagne classique. Ils s’en sont nourris, fidèlement et exclusivement, pendant plus de vingt ans, et quand Henri Heine, à partir de 1840, leur a fait connaître « l’autre » Allemagne, le romantisme touchait à sa fin, en même temps que l’influence germanique.

Une connaissance généralement médiocre de la langue ; une connaissance plus précise de la littérature, mais de la littérature classique seulement ; enfin, à partir de 1830, une série d’efforts