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à être cet homme idéal, qui n’est, suivant une formule classique, d’aucun temps ni d’aucun pays ?

C’est surtout en Allemagne qu’on s’est demandé quelles ont été, depuis le siècle dernier, nos relations littéraires ou philosophiques avec les Allemands, et, par malheur, la question a été presque toujours ramenée à celle-ci : quelle influence l’esprit allemand a-t-il exercée sur l’esprit français ? Puisque aussi bien nous négligeons généralement en France de nous poser la question inverse, des érudits ont étudié doctement l’influence de la civilisation germanique sur les nations latines, et ils n’ont oublié ni Gutenberg ni Luther, — ce qui se comprend, — ni la valse, ni la bière, — ce qui est décidément de trop.

Tous ces excès, pour ridicules qu’ils soient, ne doivent pas nous empêcher de nous poser un problème capital de l’histoire des idées dans notre pays, avec la ferme résolution de passer au crible les argumens déjà accumulés par la critique. Pour ne citer que l’essentiel, on en trouvera toute une provision dans l’indigeste et savant livre de Th. Süpfle : Geschichte des deutschen Cultureinflusses auf Frankreich, dont l’auteur, mort récemment, avait publié le premier volume en 1886 et le dernier en 1890. Süpfle, très abondant sur la période classique, a fort négligé le plus intéressant de son sujet, c’est-à-dire le XIXe siècle. On chercherait vainement à combler cette lacune avec l’ouvrage du Dr Fritz Meissner : Der Einfluss deutschen Geistes auf die französische Litteratur des 19. Iahrhunderts, qui est de 1893. Ce livre est, il est vrai, un éclatant hommage rendu à tous ceux qui ont, depuis 1831, parlé ici même de l’Allemagne. Mais, si important qu’ait été le rôle de la Revue des Deux Mondes dans la littérature du XIXe siècle, nous n’aurons pas l’immodestie de croire, même ici, qu’il la résume tout entière, ni qu’il suffise, pour apprécier ce rôle lui-même, de commenter, comme l’a fait M. Meissner, la table de cette Revue. Mieux vaut recourir, pour la période du premier empire, au copieux et précieux ouvrage de Lady Blennerhasset sur Madame de Staël et son temps, et, pour toutes les autres, au récent livre de M. Virgile Rossel, œuvre de labeur et de savoir, à laquelle manquent seulement une ordonnance plus rigoureuse et une critique plus pénétrante.

Ce que nous avons aimé de l’Allemagne en ce siècle, ç’a été successivement sa littérature, — et cela surtout de 1813 à 1848 ; puis sa philosophie, — et cela principalement de 1848 à 1870 ; et