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Ils ont perdu la foi, la foi qui chante en route
Et plante au cœur du mal ses talons frémissans.
Ils ont perdu, rongés par la lèpre du doute,
Le ciel qui se reflète aux yeux des innocens.

Même ils ont renié l’orgueil de la souffrance.
Et dans la multitude au front bas, au cœur dur,
Assoupie au fumier de son indifférence,
Ils sont rentrés soumis comme un bétail obscur.

Leurs rêves engraissés paissent parmi les foules ;
Aux fentes de leur cœur d’acier noble bardé.
Le sang altier des forts goutte à goutte s’écoule,
Et puis leur cœur un jour se referme, vidé.

Matrone bien fardée au seuil clair des boutiques,
Leur âme épanouie accueille les passans ;
Surtout ils sont dévots aux seuls dieux authentiques,
Et, le front dans la poudre, adorent les puissans.

Ils veulent des soldats, des juges, des polices,
Et, rassurés par l’ordre aux solides étaux.
Ils regardent grouiller au vivier de leurs vices
Les sept vipères d’or des péchés capitaux.

Pourtant, parfois, des soirs, ils songent dans les villes
A ceux-là qui près d’eux gravissaient l’avenir.
Et qui, ne voulant pas boire aux écuelles viles,
S’étant couchés là-haut, s’y sont laissés mourir ;

Et le remords les prend quand, au penchant des cimes,
Un éclair leur fait voir, les deux bras étendus.
Des cadavres hautains, dont les yeux magnanimes
Rêvent, tout grands ouverts, aux idéals perdus !